Cause toujours
Un de mes amis profondément religieux, devant mes doutes sur les croyances, m’a assené un argument qu’il considérait comme définitif : alors, si Dieu n’existe pas, d’où vient la conscience ?
D’abord, il est aussi vain d’affirmer que Dieu existe que d’affirmer qu’il n’existe pas. On ne peut avancer de preuves ni dans un sens ni dans l’autre. Les religions ont construit un Dieu anthropomorphique, juge incommode, mais fort commode pour trouver une cause à toute chose, et comme Dieu est incréé, la quête s’arrête là à la satisfaction des croyants. Mais de la même façon on peut avancer que l’univers est incréé : il existe tout simplement, sans faire intervenir une divinité quelconque avec un projet finaliste dont nous sommes la fin, ou que l’univers est Dieu lui-même et que nous en faisons partie sur un mode malheureusement fini, ce qui permettait à Spinoza de raser la divine barbe blanche qui le gênait beaucoup. Mais avec ou sans Dieu et quels que soient ses attributs et l’endroit où on le met, le mystère reste le même.
La quête causale est une des caractéristiques de l’humain. Evidemment, je ne sais pas d’où vient la conscience, je me doute bien qu’elle a un rapport avec la masse de neurones connectés que nous avons dans le crâne, puisque la première disparait avec la seconde, mais c’est tout ce que nous savons. Quand on ne trouve pas la cause d’un phénomène, on cherche à tout prix à en trouver une et Dieu vient combler notre ignorance, ce qui est d’une facilité reposante, mais pas une preuve de son existence.
La recherche de la causalité est le moteur des sciences. Mais même là, il ne faut pas trop se faire d’illusions. On observe et on détaille de plus en plus l’enchaînement des faits et on peut même aller loin dans l’étude des phénomènes physicochimiques, mais les savants finissent toujours par se heurter à des « pourquoi » insolubles. Les causes nous échappent encore plus en biologie. Par exemple, les mécanismes de la génétique sont démontés avec précision, on peut dire comment ça marche, mais pas pourquoi. Pourquoi les choses se déroulent-elles de cette façon et pas autrement ? Et pourquoi ces mécanismes très complexes fonctionnent-ils spontanément et à une vitesse stupéfiante ? La seule chose que l’on peut dire est que s’ils ne fonctionnaient pas de façon aussi remarquable, nous ne serions pas là pour en causer.
Et cela vous étonne que des savants, fatigués de rechercher des causes insaisissables car reculant sans cesse, puissent devenir croyants ?
Dessin de Philippe Geluck