89. Il est né le divin enfant
Pour la première fois en France est né un « bébé-médicament » ou « bébé-docteur » ou « bébé du double espoir » à partir des gamètes d’un couple musulman d’origine turque et qui sera prénommé Umut-Talha (« Notre espoir »). Ce couple avait déjà deux enfants conçus sans passer par la fécondation in vitro, mais tous deux atteints d’une béta-thalassémie (maladie génétique grave liée à une anomalie de l’hémoglobine portée par les globules rouges et assurant le transport de l’oxygène).
Avant d’être implanté dans l’utérus de la mère, l’embryon avait subi (en examinant un échantillon cellulaire) une double sélection parmi la fratrie embryonnaire obtenu par FIV : être exempt de l’anomalie génétique (c’était évidemment le désir prioritaire des parents) et si possible être compatible avec l’un des enfants du couple qui pourrait ainsi bénéficier d’une greffe de cellules souches sanguines normales.
Cette naissance a soulevé une polémique notamment de la part des milieux catholiques : atteinte à la personne humaine, eugénisme, instrumentalisation.
Existe-t-il une atteinte à la personne humaine ? Non. A la phase initiale l’embryon n’est qu’un petit amas de cellules et en prélever une ou deux pour l’examen du capital génétique ne touche pas plus à la personne humaine qu’une biopsie chez l’adulte. Bien sûr les embryons non sélectionnés seront rejetés, mais c’est le cas pour toute FIV. Quant au sang qui sera prélevé pour le traitement, il l’est à partir du placenta et du cordon ombilical et ceux-ci n’appartiennent ni à la mère, ni à l’enfant et seront jetés.
S’agit-il d’un eugénisme ? Non. Car l’eugénisme prétend s’appliquer à une population entière dans le but d’éliminer les inaptes, d’en limiter leur multiplication afin d’améliorer les caractères de cette population en se basant sur l’hérédité. Théorie introduite par Francis Galton (cousin de Darwin). C’est ainsi que de nombreux arriérés et malades mentaux ont été, jusqu’aux années 1970, stérilisés aux USA, en Scandinavie et bien sûr en Allemagne nazie où 400000 personnes furent opérées de force en dix ans.
Les progrès de la génétique ouvrent des possibilités à l’eugénisme que ne connaissaient pas ses partisans dans le passé.
Il est indéniable que l’on pratique aujourd’hui une sélection génétique à une échelle réduite, mais comme le dit René Frydman : « Nous acceptons simplement le principe selon lequel tout ce qui vient de la nature n'est pas [« toujours » me semble manquer dans la formulation] bon. Notre rôle de médecins est d'éviter que le destin génétique s'abatte sans que le couple ait eu le choix ». Et de remplacer le hasard comme le dit Axel Kahn. Cette sélection éventuelle se pose également pour le dépistage de la trisomie 21.
Il est évident que tous les parents préfèrent avoir un enfant sain plutôt que malade. La nature et le hasard ne font pas toujours bien les choses. Mais espérons qu’un jour, pour éviter les aléas de la naissance, les couples ne recourent pas systématiquement à la fécondation in vitro, non seulement pour éliminer une maladie héréditaire, mais également pour formater leur enfant futur selon leurs désirs, en éliminant au passage un éventuel Mozart, fruit d’un fabuleux hasard.
Existe-t-il une instrumentalisation de l’enfant à naître ? Oui, si l’on désire un enfant que pour obtenir son sang placentaire. Mais même dans ce cas, on pourrait répondre :
1° Que l’enfant ne sera pas moins aimé et peut-être le sera-t-il davantage, ayant contribué à sauver un membre de sa fratrie.
2° Que l’enfant est toujours instrumentalisé puisqu’il est le produit du désir parental, donc pour satisfaire les parents et non pour lui-même puisque sa personnalité future est inconnue.
3° Que les enfants, pour la grande majorité d’entre eux, préfèrent naître plutôt que d’appartenir au néant.