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Sondocratie
John Sloan : "Nuit d'élection"
Un jour, le suffrage universel fût supprimé. Dans les pays plus ou moins totalitaires, près de la totalité des électeurs votaient régulièrement pour l’homme ou la femme (beaucoup plus rarement) déjà au pouvoir par un élan unanime qui tenait du miracle et dans les pays dits démocratiques, il était finalement apparu dangereux de donner carte blanche pour plusieurs années à quelques-uns habilités à prendre des décisions pour tous et que la plupart contestaient par la suite. La sanction de l'élection suivante s'étant révélée insuffisante : les élus avaient le temps de faire leurs bêtises, d'étaler leurs incompétences et de créer des situations difficiles à corriger par les suivants. Les uns utilisaient ainsi l'essentiel de leur mandat à défaire ce que les autres avaient fait. On s'était aussi aperçu que les gens votaient plus par fidélité que par choix et qu'ils pardonnaient à leurs candidats ce qu'ils n'auraient pas pardonné à leurs adversaires.A cette situation illogique et inefficace vint s'ajouter le constat que nombre d'hommes politiques censés gouverner, ne le faisaient qu'en fonction des résultats des sondages, mais que ces résultats étaient plus ou moins valables et plus ou moins partiaux.
La solution était simple, évidente et parfaitement démocratique : les hommes politiques, intermédiaires incertains et vantards (comment ne pas l'être si l'on veut être élu), furent supprimés ou convertis en fonctionnaires non élus, recrutés par concours et révocables par sondage. Le rôle de ce corps d’état devint celui d'appliquer et de réaliser les décisions issues des sondages. Ceux-ci, permanents, bien organisés, institutionnels et contrôlés, cessèrent d'être anarchiques et téléguidés et purent représenter les opinions de la majorité de la population dont le pragmatisme rangea dans les oubliettes de l’histoire les idéologies fumeuses et fumantes qui traînaient encore dans la tête de certains.
Partis et syndicats n’avaient plus lieu d’être. Les journalistes et les intellectuels devinrent indépendants (c’est là où l’on rencontra les plus grandes difficultés), leur rôle fût de rapporter les faits et d’exposer les arguments pour permettre aux sondés de répondre aux questions (toujours multiples pour éviter l’ambiguïté) en toute connaissance de cause.
Et c’est ainsi que les statistiques prirent le pouvoir.[1]
[1] Ceci n’est qu’une fable.
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Commentaires
Merci pour cette seconde fable, mais pour qu'elle puisse s'appliquer il aurait fallu auparavant que le peuple ait permis la prise de pouvoir par l'ordinateur et l'implantation de puces personnelles...
Dr WOAprès la disparition du Parlement, du Sénat et de la Télévision, chacun devant son ordinateur eut la possibilité de consulter les débats en cours des politiques, de voter, et d'entériner par un click sur "Oui, j'approuve", et "Non, je refuse" toutes les propositions de son gouvernement. Le suffrage universel appliqué dans ses derniers retranchements. La Star Académie appliquée à la Démocratie.
Une fois quelques temps d'égarement passés, il apparu que c'était celui qui faisait le meilleur show, paillettes, ballons, musique et filles à moitié habillés, qui arrivait à ses fins. Et ce fut le début d'une nouvelle ère.Trop fatiguée ce soir. Je vous admire ! Je repasserai demain.Après réflexion, je me dis qu'on en est pas tout à fait encore là mais qu'on nous a déjà fait dépasser le milieu du gué.Le pouvoir prit conscience de celui des statistiques et, pour rester maître en son pays, entreprit de les élaborer lui-même.Le peuple n'en sut jamais rien, lui qui se mit à réélir le même homme (ou, plus rarement, la même femme) à chaque élection. Un jour, le suffrage universel fut supprimé...Les politiques font semblant de mépriser les sondages tout en ayant l'oeil fixé dessus. Mais les sondages ne posent des questions que sur leur popularité et rarement sur les questions de fond, ce qui serait très gênant pour eux.
Dr WO
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Mais un jour....