• Se perpétuer

    J’ai lu une interview du philosophe Rémi Brague à propos de son dernier livre : «  Les ancres dans le ciel » (Le Point du 21/04/11). Commenter une interview alors que l’on n’a pas lu livre peut paraître osé. Cependant, c’est par une interview que l’on connait l’essentiel de la pensée d’un auteur car les essais philosophiques ont l’inconvénient de noyer cette pensée sous un flot de références qui finit par la dénaturer.

    Brague pose la question suivante : « De quel droit pouvons-nous préférer que l’aventure humaine continue plutôt qu’elle ne s’arrête ? » ou « Au nom de quoi faut-il se perpétuer ? », l’homme peut, en effet, décider aujourd’hui de ne pas faire d’enfants. Pourquoi tirer un être du néant, sachant que la vie se termine toujours mal et qu’elle n’est pas exempte de souffrances alors que cet être n’a rien demandé (et pour cause). Pour Brague, sans réponse à cette question « l’existence de l’espèce humaine perd sa légitimité ». Et la réponse de ce philosophe serait métaphysique : « l’être équivaut au bien », ce qui justifierait de l’imposer aux autres sans pouvoir leur demander leur avis. Pour cela il faudrait « un ancrage céleste », du « divin », une transcendance quelle que soit sa forme. « Un humanisme sans quelque chose comme une transcendance » ne lui parait pas sérieux.

     

    La vie est un bref passage entre deux néants. Etre tiré du néant donne au moins le choix d’y retourner en abrégeant sa vie. Le choix de vivre n’existe pas dans le néant. Il se trouve que les vivants dans leur très grande majorité font ce qu’ils peuvent pour rester en vie. S’ils y tiennent tant, cela vaut peut-être la peine de la leur donner puisqu’ils sont libres de la quitter quand ils le veulent.

     

    Les êtres humains font-ils des enfants pour perpétuer l’espèce ? Les motivations conscientes sont toutes autres et ressortent pour l’essentiel de convenances personnelles : perpétuation de ses gènes si on est orgueilleux, perpétuation d’un héritage, assurance pour sa vieillesse, accident de parcours ou tout simplement le plaisir d’avoir des enfants, de les voir pousser comme des fleurs, jusqu’au moment où elles deviennent carnivores…

    Faut-il considérer que le plaisir qui accompagne l’acte de procréation est de l’ordre transcendantal ? Ce qui le rend particulièrement attractif, même si dans l’espèce humaine plaisir et procréation font le plus souvent chambre à part.

     

    S’il n’est pas nécessaire de faire intervenir un postulat métaphysique (« l’être, équivaut au bien ») pour donner la vie et par là même perpétuer l’espèce humaine, la reproduction et la perpétuation des espèces en dehors de l’espèce humaine sont des plus mystérieux (Brague ne l’envisage pas dans son interview, mais peut-être le fait-il dans son livre).

    La vie des espèces animales et végétales est axée sur cette perpétuation, dans l’ignorance du droit, de leur légitimité et de la métaphysique. Et que d’astuces et d’efforts pour la réaliser ! Il suffit de voir le film « La Marche de l’Empereur » pour s’en rendre compte. Cet acharnement à se reproduire instinctivement contre tous les obstacles, en suivant parfois des filières invraisemblables, en obéissant à une programmation impérative et dans une obstination aveugle, est bien plus étonnant que la perpétuation de l’homme qui repose sur un choix le plus souvent égoïste.

     

    Dire que la reproduction est une des caractéristiques de la vie et sans elle, la vie disparaîtrait de la Terre est une évidence qui n’explique rien. On comprend qu’il soit tentant de faire intervenir la transcendance pour expliquer l’inexplicable, éloignant ainsi le mystère.

    Reste que l’Humanité a besoin des autres espèces pour survivre et qu’il faut espérer que ses appétits prédateurs ne conduiront pas à faire disparaître les miracles de la vie alors qu’elle fait tant d’efforts (parfois trop) pour se perpétuer.

    « Hypertension artérielle IIDépit »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 27 Avril 2011 à 18:36
    Curieuse transcendance qui a fait disparaître des espèces (et je ne parle pas d'espèces détruites par l'activité humaine). La vie des dinosaures aurait-elle eu moins de valeur pour cette transcendance que celle des survivants à leur extinction?
    Ces références à la transcendance en philosophie sortent du domaine de la philosophie pour entrer dans celui de la métaphysique;
    2
    Mercredi 27 Avril 2011 à 18:41

    L'auteur se réfère à la métaphysique. On pourrait répondre que les dinosaures devaient disparaître pour permettre la venue de l'homme et l'on pourrait rétorquer : alors pourquoi les avoir fait apparaître ?

    Dr WO

    3
    Mercredi 27 Avril 2011 à 19:58
    Pas trop d'accord avec vous, Doc, pour dire que que les animaux se reproduisent par instinct et nous par choix ( égoïste ou pas).
    Nous appartenons au règne animal et l'instinct de survie et celui de reproduction sont des conditions sine qua non de notre existence (les espèces qui ne les ont pas ne sont pas là, tout simplement)

    Le fait que nous ayons enrobé cet instinct de reproduction d'une épaisse couche de vernis culturel (amour, mariage, fidélité, monogamie, que sais-je encore?) ne doit pas nous faire croire que nous possédons une liberté telle que nous pourrions décider, sur la base d'un raisonnement intellectuel, de cesser de nous reproduire.
    (Collectivement, je veux dire. Individuellement, ca reste possible)
    4
    Mercredi 27 Avril 2011 à 20:32
    Personnellement je pense que la disparition des dinosaures est due à un phénomène naturel.... la chute d'un météorite.
    Mais pour ce que j'en pense...
    5
    Mercredi 27 Avril 2011 à 20:37

    Je suis bien d'accord avec vous.

    Dr WO

    6
    Mercredi 27 Avril 2011 à 20:51

    Pour les animaux supérieurs comme les primates (autres que les hommes) j'avoue que j'ignore si le choix existe. Mais une fois que l'on a dit qu'il existe un instinct de survie, on n'a rien expliqué du tout. Est-ce que l'Homme fait des enfants dans le but de perpétuer l'espèce, je ne le crois pas. Chez l'Homme l'instinct de survie est individuel et non collectif. Décider collectivement de ne plus faire d'enfants est une autre démarche, mais instinct ou pas, la limitation des naissances s'imposera.

    Dr WO

    7
    Mercredi 27 Avril 2011 à 21:01
    Quand même je m'interroge. L'instinct de survie de l'homme ne serait il pas, disons circuité (désolée je ne suis pas trop au fait de la philosophie) par les conditions sociales dans lequel il évolue ?
    8
    Mercredi 27 Avril 2011 à 21:16

    L'instant de conservation est toujours conservé (sauf en cas de suicide), L'instinct collectif s'est sans doute beaucoup atténué avec le civilisation ou si l'on veut avec les conditions de la vie en société, qui paradoxalement a conduit à la primauté de l'individu.

    Dr WO

    9
    Jeudi 28 Avril 2011 à 12:46
    Je ne vois pas ce qu'il y a de transcendant dans tout cela. Se reproduire, flore, faune, humain... est un aspect de la vie plus que normal.
    La disparition des espèces (les dinosaures par exemple) sont certainement du à un accident du type météorite. Misa à en effet tout à fait raison.
    Par contre, le danger, c'est tout de même l'homme qui recherche sans cesse à vouloir reproduire en modifiant génétiquement certaines données, que ce soit pour la flore, la faune, voire même la race humaine.
    Bonne journée DOC
    10
    Jeudi 28 Avril 2011 à 23:10

    La reproduction est évidemment normale pour les être vivants, sinon ils n'existeraient pas. Reste que le processus est à la fois admirable et mystérieux. Songez simplement à la beauté des fleurs qui permet d'attirer les insectes pour assurer mieux que le vent la pollinisation ou aux parasites qui doivent pour devenir adultes parasiter plusieurs hôtes successifs et toujours les mêmes et si vous avez vu "la Marche de l'Empereur", le processus de reproduction de ce type de pingouin est encore plus extraordinaire et se fait au péril de la vie des adultes.

    Dr WO

    11
    Jeudi 28 Avril 2011 à 23:13

    Je trouve que cette question pour l'Homme n'est pas problèmatique.

    Dr WO

    12
    Vendredi 29 Avril 2011 à 09:01
    Oui j'ai vu ce film réalisé pas Luc JACQUET. Un superbe film reportage. Une nature, qui se perpétue depuis des millénaires et que les hommes n'ont découvert qu'au début du XXème siècle. Bonne journée Doc
    13
    Vendredi 29 Avril 2011 à 14:06

    Où la reproduction si naturelle devient un calvaire.

    Dr WO

    14
    Vendredi 29 Avril 2011 à 19:13
    C'est une bonne question! Je suis sure que sommes peu nombreux à nous la poser AVANT de faire des enfants. Mais c'est vrai, nous faisons des enfants... Est ce par instinct? Par nécessité? Par choix? Par besoin? Par envie? Peut-être un peu pour toutes ces raisons à la fois! Mais quand le bébé remue doucement dans notre ventre... nous oublions la question pour savourer le moment! Bisous Doc!
    15
    Vendredi 29 Avril 2011 à 19:22

    Nous faisons des enfants pour nous. Mais pour la femme le désir de maternité est peut-être programmé comme pour toutes les espèces, mais cet "instinct" ne touche pas toutes les femmes.

    Dr WO

    16
    Vendredi 29 Avril 2011 à 23:40
    Bonsoir Paul. Il n'y a pas longtemps, j'ai entendu que les humains avaient des rapports ensemble inconsiamment pour perpétuer l'espèce ; la démonstration visant à démolir le sentiment d'aimer. Cela veut donc dire que nous sommes programmés héréditairement à procréer, mais qu'entre temps, nous contrôlons notre procréation, vu que nous avons intellectualisé les rapports hommes/femmes et que nous sommes devenus individualistes. Bien à vous, Tibicine
    17
    Samedi 30 Avril 2011 à 10:22

    Les humains ont introduit le choix et le contrôle dans leur reproduction, ils ne font pas des enfants dans la perspective de perpétuer l'humanité, alors que les autres espèces sont soumises à une programmation impérative. Cependant, il existe le désir d'enfant et le désir de maternité qui, lui, est peut-être lié à une programmation même si elle est beaucoup moins impérative que l'instinct des autres espèces.

    Dr WO

    18
    Samedi 30 Avril 2011 à 14:29
    Bah, je crois que Brague se disperse et erre parfois. Pour ma part, j'ai bien le sentiment que la vie ne se termine pas mal puisqu'elle ouvre la porte à la mort, donc à une nouvelle aventure.
    Quant aux motifs pour procréer, il en est d'autres. De mon côté, si j'ai continué l'oeuvre de la nature, c'est que c'est la nature, tout simplement, et que j'espère que celle qui vient sera plus intelligente et mettra tout en oeuvre pour devenir plus pacifique. L'idéal est une bonne raison d'accomplir un acte tout droit sorti d'une jouissance métaphysique autant que sensuelle.
    19
    Samedi 30 Avril 2011 à 19:19

    Je suis d'accord avec la métaphysique sensuelle, elle ouvre des horizons.

    Dr WO

    20
    jeffanne
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:07
    Ardu mais pas inintéressante la question, et comme chacun y va de son point de vue... je reste sur ma faim
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :