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Savonarole dans le métro
On rencontre toutes sortes de gens dans le métro parisien : des échantillons de toute l’humanité, des dormeurs allongés sur les bancs, des mendiants silencieux ou racontant leurs misères, des musiciens, des chanteurs, des voleurs aux mains enfantines et même, plus rarement, des policiers.
Ce matin, pour la première fois, j’ai rencontré Savonarole, Jérôme de son prénom, surgi du quattrocento florentin, réincarné dans un jeune noir portant jean, lunettes et serviette qui, en déambulant dans l’allée de notre wagon, a déclamé d’une voix de stentor des imprécations ponctuées de « et ouais, et ouais » pour donner toute sa véracité à sa prédication menaçante. Il nous a rappelé que Dieu avait tout créé de l’insecte à l’homme (il a passé sous silence les tremblements de terre qu’il aurait – cela va de soi - interprétés comme des punitions divines), il nous a exhorté à mettre une fin définitive à nos multiples péchés dont la fornication, l’avortement et la sodomie et nous a engagé à entrer en Jésus, mais sans préciser la voie de pénétration. Il nous a asséné une grande vérité stupéfiante : que nous étions tous mortels. La mort est en effet omniprésente dans les religions, c’est la grande porte ouverte à leur imagination Boschienne, derrière laquelle elles mettent le Paradis et l’Enfer dont personne n’est revenu pour affirmer leur existence, ce qui leur permet pour nous faire filer doux de brandir la récompense et le châtiment sans être désavouées, et notre prédicateur n’a pas manqué de nous faire miroiter les feux de l’Enfer avec une certaine jubilation (« et ouais, et ouais »).
Les voyageurs prisonniers du wagon et peut-être frappés par ces foudres célestes sont restés silencieux, un tantinet étonnés et sans doute impressionnés par la carrure du prédicateur. Seules deux personnes ont protesté : un homme au fond du wagon qui lui a fait remarquer qu’il n’avait pas le droit de prêcher ainsi et qu’il y avait des lieux pour le faire et votre serviteur, proche du prédicateur, accroché à son journal de peur qu’on le lui arrache pour être brûlé sur « le bûcher des vanités », en lui disant que c’était son opinion et qu’il n’avait qu’à la garder pour lui. Mais rien n’y fit, emporté dans son envolée céleste et la rame du métro, le prédicateur n’est pas redescendu sur terre. Il ne l’a fait qu’au terminus en nous abandonnant à nos péchés.
Savonarole (peintre anonyme)
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Commentaires
1fanfanchatblancLundi 2 Juillet 2012 à 19:22ça peut aussi s'appeler la liberté de parole....RépondreJe vois à votre façon de raconter qu'il vous a plus amusé que passionné ou ennuyé ! En fait il croyait sans doute à se qu'il disait, chose l'excluant à tout jamais d'un avenir de politicien même issu de la diversité !
Bonne soirée PaulPas du tout. Il a imposé sa parole fanatique a un public qui ne voulait pas l'entendre. Il n'a donc pas respecté la liberté de dizaines de personnes qui n'étaient pas venus là pour subir le déballage de ses absurdités.
Ne croyez pas ça. J'ai été outré par son culot et attristé qu'au XXIème siècle on puisse encore croire à de telles sornettes. C'est un dangereux fanatique qui doit regretter l'Inquisition.
Certes.. mais je maintiens la parole est libre peu importe le contexte.. je suis souvent aussi importunée par les discours ou musicos dans le RER qui m'imposent leur prestation.. la liberté est impossible à gérer... sauf à mettre un flic dans chaque wagon.. cet homme était probablement dérangé et incapable de mesurer ce qui pouvait importuner les voyageurs.. la promiscuité est insupportable .. l'autre est insupportable... un débat insolubleIl voulait peut-être faire fortune en se proclamant guide et prophète d'une nouvelle religion?Les musicos cherchent à gagner leur vie, on leur pardonne. Les discours religieux, il y a des lieux pour les faire. Pour les autres discours, il y a les médias et les livres que l'on est libre d'entendre, de voir ou de lire. La parole en public nécessite l'acceptation du public, sinon il y a désordre à l'ordre public.
Je vous vois bien sévère ce soir, e fait est ennuyeux sans doute pour qui en a été le témoin, mais au vue de tout ce qui se passe,à tous moments je le trouve assez anodin :
D'ailleurs, c'est votre faute, votre manière de le raconter me l'a rendu assez sympathique !Mon récit est ironique sur un fait qui parait anodin. Mais sa signification n'est pas anodine. Il prouve qu'au XXIème siècle et en France, longtemps après celui des lumières, l'obscurantisme persiste et n'hésite pas à s'étaler en public.
Je vous comprends Doc ! Moi j'ai eu la visite de deux témoins de Jévovah et même sur le pas de la porte, les cinq minutes qu'il a fallu pour les éconduire sans devenir grossier, m'a paru bien long !
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