• Que penser des Pensées ?

    CE BILLET EST PEUT-ÊTRE IMPERTINENT, MAIS ABSOLUMENT PAS DISTRAYANT. ALORS, POURQUOI  LE PUBLIER ? ET BIEN JE N’EN SAIS RIEN. PEUT-ÊTRE PARCE QUE JE M’AMUSE PARFOIS AVEC DES CHOSES ENNUYEUSES, POURQUOI PAS VOUS ?

     

    Pascal a écrit des fragments destinés à une apologie du Christianisme et qui ont été réunis dans les Pensées, son ouvrage le plus connu et d’excellente réputation. J’avais plutôt de bons souvenirs scolaires, mais je n’en avais lu que les extraits mis à ma disposition. J’ai eu l’idée saugrenue (et courageuse : 600 pages!) de lire l’intégralité des fragments. J’aurais mieux fait de m’abstenir.

    L’essentiel de ce texte est évidemment marqué par l’époque et par la foi de l’auteur qui transforme des affirmations en vérités et la Bible en un livre d'histoire. Il est certain qu’avec le recul tout jugement pourrait être considéré comme déplacé, voire injuste, pourtant une œuvre ne doit pas être jugée seulement du point de vue historique mais également pour ce qu’elle apporte.

    Pascal nous assène que l’homme est mauvais : « La vraie et unique vertu est donc de se haïr… » (Fragment 471) et malheureux : « Que je serais heureux, si j’étais en cet état, qu’on eût pitié de ma sottise et qu’on eût la bonté de m’en tirer malgré moi ! » (Note du fragment 662). Pascal s’efforce donc de démontrer que la seule forme de bonheur est l’amour de Dieu et que la seule religion vraie est la religion chrétienne : « Si on soumet tout à la raison, notre religion n’aura rien mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. » (Fragment 204). Avec tout le respect que je dois à ce génie, j’aurais tendance à penser l’inverse. On s’étonne d’ailleurs qu’un si grand esprit (notamment scientifique), emporté par sa flamme dévote, puisse avancer des arguments comme : « Ainsi non seulement le zèle de ceux qui cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux qui ne le cherche pas. » (Fin du fragment 195). Cette pétition de principe universelle permet de prouver tout ce que l’on veut et ouvre les portes au surnaturel. Ou « Sur ce que la religion chrétienne n’est pas unique. Tant s’en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu’elle n’est pas la véritable, qu’au contraire c’est ce qui fait voir qu’elle l’est. » (Fragment 620). Une possibilité ne peut devenir vraie que si elle n’est pas unique, par conséquent s’il n’existe qu’une possibilité, elle a toutes les chances d’être fausse.

    Quant aux démonstrations de Pascal pour persuader les incroyants qu’ils ont intérêt à croire pour espérer avoir une belle vie après la mort et à ne penser qu’à cela plutôt qu’aux biens terrestres et aux divertissements, donnent à la foi un côté mercantile un peu déplaisant. Mais on ne peut qu’approuver sa condamnation de l’Inquisition.

    Il existe, bien sûr, de beaux passages bien connus (ceux qui ne sont pas marqués par l’époque et qui ont un caractère universel) mais il est décevant de constater que beaucoup de ces fragments sont très inspirés de Montaigne (jusqu’à utiliser les mêmes termes)[1], ce qui n’empêche pas Pascal de dire de lui « Le sot projet qu’il a de se peindre […] Car de dire des sottises par hasard et par faiblesse, c’est un mal ordinaire. Mais d’en dire par dessein, c’est ce qui n’est pas supportable.» (Fragment 644).

    Peut-être vaut-il mieux garder ses souvenirs que d’avoir l’inconscience de pénétrer dedans pour trouver plus de vide que de plein.


    [1] Les « Pensées » dans la collection « Les classiques de poche » donnent des extraits des « Essais » de Montaigne correspondants

    « Appel à la populationDécouverte »

  • Commentaires

    1
    Lundi 7 Décembre 2009 à 18:42
    Je suis d'accord, toujours cette éternelle volonté des croyants de faire du prosélytisme...
    Pourtant, quoi de plus difficilement supportable pour un esprit ouvert que les dogmes, comment s'étonner que ceux qui sont enclins à réfléchir cherchent une justification, une explication à ce qu'on essaie de leur faire gober sans analyse...
    Avez vous lu l'excellent livre de Bertrand Russel "pourquoi je ne suis pas chrétien"? qui non seulement met à jour certaines aberrations, mais qu'on peut finalement appliquer aux autres monothéïsmes
    2
    Lundi 7 Décembre 2009 à 18:55

    Ce qui m'a frappé chez Pascal c'est cette volonté d'introduire la raison avec des arguments qui n'ont rien à voir avec elle et de tenter d'attirer les incroyants par l'intérêt qu'ils auraient à croire. Pour le livre de B. Russel, je n'ai lu que des extraits.
    Dr WO

    3
    Lundi 7 Décembre 2009 à 19:10
    Il est étonnant qu'un esprit mathématique (donc rompu au raisonnement logique)en soit arrivé à vouloir raisonner sur la foi en débitant des absurdités logiques. Vous en citez un exemple éclairant. Le plus connu est son "Pari" qui ressemble plus à un mauvais tour de passe-passe qu'à une démonstration.
    Mais il avait un beau brin de plume ("Les Provinciales" très datées du fait du sujet).
    4
    Lundi 7 Décembre 2009 à 19:13
    Et puisqu'on en est à se donner des conseils de lecture, allez jeter un cou d'oeil aux "Pensées d'un biologiste" de Jean Rostand. (Livre de Poche mais je l'ai acheté il y a longtemps. Est-ce toujours disponible?)
    5
    Lundi 7 Décembre 2009 à 19:23

    Dans le "pari" en tant que mathématicien, il a tenté une démonstration mathématique qui, en effet, ne tient pas la route (exemple trop connu pour en parler). C'est vrai que l'on peut admirer son style, mais c'est tout de même insuffisant pour faire des "Pensées" un bon livre (je crois qu'il continue à être étudié au Lycée)
    Dr WO

    6
    Lundi 7 Décembre 2009 à 19:25
    Je l'ai lu jadis, il me semble avec plaisir. Mais à présent je me méfie des "retours".
    Dr WO
    7
    Lundi 7 Décembre 2009 à 20:45
    A mon avis, vous avez eu raison. Il n'a pas photo entre les deux.
    Dr WO
    8
    Mardi 8 Décembre 2009 à 00:10
    Lire, de nos jours, 600 pages de Blaise Pascal n'est pas seulement un signe de courage mais un acte de bravoure et de panache, cher Docteur!
    9
    Mardi 8 Décembre 2009 à 09:00
    Je ne m'en suis pas encore remis !
    Dr WO
    10
    Mardi 8 Décembre 2009 à 10:23
    Que c’est vieux tout ce la dans ma tête, qui n’a pourtant pas oublié les Pensées de Blaise Pascal incontournables sur le plan scolaire comme le furent les Essais de Montaigne.
    Pour avoir approché de très près la vie de Pascal qui a passé ses derniers moment à Port Royal.
    (A cette époque, j’habitais Montigny le Bretonneux, à vol d’oiseau 7/8 km de PORT ROYAL où d’ailleurs il reste la trace de ce grand homme et du mouvement janséniste.)
    Deux influences de base le guident vers sa conversion: le jansénisme et la maladie après l’accident de son père en 1646. Il ne faut pas oublier que les Pensées on été publiées à titre posthume en 1670. (sa mort datant de 1662).
    Ce courant religieux et doctrinal, le jansénisme avait pour principaux principes, rigueur morale extrême, doctrine erronée sur la grâce, valeur exclusive accordée à l’écriture et au Près de l’Eglise, mystique du cœur.La doctrine du jansénisme sur la grâce a été vigoureusement condamnée en 1653 par la papauté (condamnation renouvelée en 1715 dans la bulle papale Unigenitus).
    En France, Louis XIV a interdit le mouvement janséniste de Port-Royal en 1661.

    Alors en effet, les convictions de Blaise Pascal quant tu déclares que l’homme est mauvais et malheureux, que Pascal s’efforce de démontrer que la seule forme de bonheur est l’amour de Dieu et que la seule religion vraie est la religion chrétienne, etc. je ne vais pas reprendre ton billet...
    Convictions qui s’expliquent à mon sens par l’influence du courant janséniste qui prônait l’intolérance et de son était de santé précaire.
    Il faut pas pour autant en oublier ses autres ouvrages tels: Essais pour les coniques, Expériences nouvelle touchant le vide, Traité du triangle arithmétique, Les provinciales, ou Elément de géométrie, et je dois en oublier d’autres...
    Tu vois, j’ai trouvé ton billet très intéressant
    Bonne journée Doc,
    Bizzzzzzzzzzz
    ZAZA
    11
    Mardi 8 Décembre 2009 à 15:22
    Tout comme Pangloss, j'ai toujours été surprise de lire ces phrases écrites par l'un des plus brillants mathématiciens ! Pascal témoigne de la force avec laquelle la Religion peut submerger l'esprit d'un homme au point de le dérouter.
    Petite anecdote : j'ai découvert Pascal en même temps que ... Samuel Beckett ! Bizarreries de la vie.
    12
    Mardi 8 Décembre 2009 à 17:11

    Pascal était en effet un grand esprit scientifique et particulièrement précoce (l'essai sur les cônes a été écrit, je crois, à l'âge de 14 ans). Puisque les Pensées est une oeuvre qui fait partie du cursus scolaire, j'ai voulu, à grande, à très grande distance, voir ce qu'elle pouvait apporter indépendamment  du contexte historique et du parcours personnel de l'auteur (en particulier la guérison de sa filleule atteinte d'une fistule lacrymale et qu'il considérait comme miraculeuse) et je trouve que cette oeuvre n'est pas du tout incontournable et qu'elle n'apporte pratiquement rien (en dehors de l'exemple de la pollution d'un remarquable esprit scientifique par la religion) et en tout cas beaucoup moins que les Essais de Montaigne dont Pascal s'est fortement inspiré, ne serait-ce que pour le contrer.
    Dr WO

    13
    Mardi 8 Décembre 2009 à 17:18

    J'ignore si les entorses (nombreuses) à la logique font partie des extraits que l'on donne à lire aux élèves. Pour ma part je ne vois par l'intérêt d'étudier cette oeuvre sinon sur le plan historique comme une expression du jansénisme (qui n'a pas fait long feu).
    Dr WO

    14
    Mardi 8 Décembre 2009 à 18:11
    J'en reste bouche bée et totalement admirative ! J'ai fait comme tout bon élève de philo, j'ai survolé Pascal mais le souvenir qu'il m'a laissé ne m'a jamais poussée à le relire. Encore bravo !
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    15
    Mardi 8 Décembre 2009 à 19:02

    Vous avez bien fait. A voir la sympathie qui m'entoure, j'ai l'impression d'avoir gravi l'Everest !
    Dr WO

    16
    leonie
    Lundi 7 Janvier 2013 à 16:22
    Les pensées de pascal au lycée? pas vraiment accroché à l'époque, mais c'était au programme, c'est Baudelaire qui m'accrochait le plus, allez savoir pourquoi.
    17
    Jeudi 9 Juillet 2020 à 18:45
    Raboliot

    Pascal a parfaitement résumé Montaigne dans une formule célèbre, que vous avez oubliée :
    Le Moi est haïssable.


    Y'en a marre de tous ces Narcisses qui font de l'introspection !

      • Jeudi 9 Juillet 2020 à 19:01

        Il ne me semble pas que Montaigne trouvait le moi haïssable contrairement à Pascal.

        Je n'ai pas oublié et j'ai noté dans mon billet :« La vraie et unique vertu est donc de se haïr… » (Fragment 471)

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