• Post-vérité ?

     

    Dans un petit éditorial de Sébastien Le Fol paru dans Le Point du 3/11/16, il est rapporté cette phrase : « De plus en plus ce qui passe pour des faits n’est qu’un point de vue de quelqu’un qui pense que c’est vrai – et les réseaux sociaux ont permis à ces « faits » de circuler facilement ». Cette phrase serait tirée d’une analyse de Katherine Viner, rédactrice en chef du Guardian qualifiant le vote en faveur du Brexit comme « le premier dans l’ère de la politique post-vérité ».

    Dans cette optique, le mensonge, l’émotion et la croyance deviennent des arguments. Les prestations de Donald Trump en sont des illustrations caricaturales : quoi qu’il dise, mensonges et grossièretés, environ la moitié de l’Amérique est prête à voter pour lui. La vérité de ce qu’il avance importe peu, ce qu’il dit devient vrai parce qu’il le dit, la croyance n’a pas besoin de vérité, son principe est de s’en dispenser.

    Mais n’en déplaise à Katherine Viner, la "post-vérité" est vieille comme le monde. L’humanité a toujours été dominée par des idéologies qui prétendent détenir la vérité (« point de vue de quelqu’un qui pense que c’est vrai ») en négligeant les faits ou en les manipulant pour qu’ils rentrent de force dans l’idéologie. Le communisme russe a été de ce point de vue un exemple monstrueux de « post-vérité », mais on peut remonter bien plus loin.

    Même en tenant compte des faits, ils peuvent être : soit révélés partiellement, soit interprétés de telle sorte qu’ils finissent par perdre leur signification et par conséquent leur vérité. Les médias ou les intellectuels politiquement orientés savent très bien le faire.

    Par contre ce qui est nouveau ce sont les moyens actuels de diffusion qui donnent à la désinformation une amplification à l’échelle mondiale. Une contre-vérité portée par tant de voix finit par prendre la consistance de la vérité. Il est difficile devant une rumeur d’une telle ampleur de rétablir la vérité. Il en reste toujours quelque chose : un homme accusé à tort restera suspect, la théorie du complot aura la vie dure, le faux « protocole de Sion » ne sert-il pas toujours d’argument pour les antisémites ? Un fait fabriqué peut provoquer une cascade de faits réels comme ce fut le cas également de la découverte d’un faux charnier en Roumanie qui accéléra la chute du régime communiste.

    Négliger les faits ou les manipuler n’est pas une démarche réservée à la politique, les sciences ont également connu cela. Il a fallu longtemps pour que les faits et la démonstration trouvent leur place dans la recherche de la vérité. Mais même en tenant compte des faits, la science ne saisit pas pour autant la vérité à coup sûr : combien de théories paraissant à chaque fois crédibles se sont succédées pour les expliquer ?

    Les idéologies politiques se prétendent aussi comme des théories permettant d’expliquer les faits, ce qui n’est pas inutile sur le plan intellectuel. C’est quand elles cherchent à modifier les faits pour s’appliquer qu’elles deviennent dangereuses. Par contre en matière scientifique une théorie est abandonnée lorsqu’elle s’avère inadéquate dans son application.

    « L’EAU MIRACULEUSEContresens »

  • Commentaires

    1
    Souris donc
    Dimanche 6 Novembre 2016 à 10:58

    L'éditorial parle surtout du rôle que l'on fait tenir aux statistiques, à l'appui d'une idéologie. Les chiffres sont des êtres fragiles, à force d'être torturés, ils finissent par avouer tout ce que vous voulez leur faire dire. (Alfred Sauvy).

    On nous vend la mondialisation avec le sempiternel « L'humanité n'a jamais été plus riche, en bonne santé, libre, tolérante et éduquée ». Ce qu'on oublie d'ajouter, c'est que la classe moyenne en paie le prix. Celui de son déclassement et de celui de ses enfants. Sans parler des catégories "périphériques" qui ont tout perdu.

    Les chiffres de l'immigration deviennent délirants, dans un sens comme dans l'autre. Et les stats ethniques sont interdites, ouvrant la porte à tous les idéologies. Qui se réclament souvent de la science (pour son côté irréfutable, ce qu'elle ne doit pas être, justement, selon Popper).

      • Dimanche 6 Novembre 2016 à 11:34

        Je ne faisais pas référence à l'éditorial du 5/11/16 que je viens de lire, mais à celui du 3 qui est en fait le début de celui du 5, et qui ne parle pas de statistiques (dont ceux de l'immigration) mais de ce que font les intellectuels des faits. Les frères Goncourt disaient que "la statistique est la forme la plus élaborée du mensonge". Non seulement les chiffres peuvent être manipulés, non seulement les biais possibles sont nombreux, mais en plus, les partisans ont tendance à les interpréter dans le sens qui leur convient ou tout simplement ne pas en tenir compte ou les oublier comme cela semble être le cas pour le sondage récent de l'Institut Montaigne.

    2
    Dimanche 6 Novembre 2016 à 15:48

    Dans ma jeunesse, le déni pur et simple de réalité était l'apanage des extrêmes. De l'extrême gauche, par exemple quand elle affirmait qu'il y avait "paupérisation croissante de la classe ouvrière"... et ce, au cours des 30 glorieuses quand l'ouvrier était en train d'acheter sa télé, sa machine à laver et un robot-mixeur...

    Aujourd'hui, tout le monde s'y est mis ( "indignés", écolos, islamistes, fachos...) et le pire , comme vous le soulignez, est que les moyens de diffusion actuels donnent un écho considérable à ces "post-vérités" .

    Aujourd'hui, impossible de discuter avec des jeunes.  Ils ne lisent plus rien et ont comme seules références intellectuelles  des vidéos Youtube de gens extrêmement douteux.

      • Dimanche 6 Novembre 2016 à 16:15

        Tout est dans le regard que l'on porte sur les choses. Deux mondes parallèles : ce que l'on pense et ce qui est. Difficile de les faire coïncider.

    3
    Dimanche 6 Novembre 2016 à 16:10

    Le politiquement correct est une langue inventée pour cacher la réalité, pour la contrefaire, la maquiller. Utiliser une autre langue pour dire la (ou sa) vérité est condamnable.

      • Dimanche 6 Novembre 2016 à 16:31

        "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde" citation de Camus amplement utilisée, mais qui résume l'impact du mensonge. Le "politiquement correct" est plus subtile que le mensonge : il ne nomme pas les choses, il évite de les nommer pour tenter de les faire disparaître.

      • Souris donc
        Dimanche 6 Novembre 2016 à 17:53
        C'est la novlangue d'Orwell. 1984.
      • Dimanche 6 Novembre 2016 à 18:20

        La novlangue était destinée dans le roman d'Orwell à rendre impossible toute pensée libre. La pensée est évidemment structurée par le langage. Pervertir la langue, c'est pervertir la pensée. Oui, je sais, j'enfonce des portes ouvertes.

    4
    Dimanche 6 Novembre 2016 à 22:31

    Avec internet, rien n'est impossible, les poissons volent et les oiseaux nagent...

    Il faut faire le tri...pas facile!

      • Dimanche 6 Novembre 2016 à 22:50

        Oui, tout est possible, d'autant plus qu'il existe des poissons volants et que le canard nage. wink2

    5
    Lundi 7 Novembre 2016 à 00:19

    J'ai vu des poissons "volants" ils ne volent ni longtemps ni très haut, c'est plutôt une sorte de saut !

    Mais voilà tout à fait la démonstration de votre propos, quelqu'un a vu sortir un poisson hors de l'eau et a décider "qu'il volait"! mais si les canard nagent, le merle ou la pie se tiennent loin de l'eau!

     

      • Lundi 7 Novembre 2016 à 10:58

        Ce qui montre bien que la vérité est toujours partielle et interprétative

    6
    Souris donc
    Lundi 7 Novembre 2016 à 07:54

    Pigeon vole. Comme l'escroc.

    Pour en revenir à la science, une vérité n'est scientifique que lorsqu'elle est falsifiable, "réfutable", c'est ce qu'enseigne Karl Popper. Sinon, quand l’hypothèse est trop forte, (les déterminismes sociaux ou le libre-arbitre, par ex), on est dans la croyance, l'idéologie et la propagande. Ni démontrables ni réfutables.

    Question : la médecine est-elle une science ou un art ? On dit l'homme de l'art.

    Sans entrer dans la polémique, le mercure était considéré comme un médicament souverain contre la syphilis. On n’avait pas les procédures pour évaluer l’action d’un médicament avant son AMM. Mozart qui avait pourtant un solide tempérament, est mort à 35 ans. Empoisonné par le mercure. Pas trop regardant sur ses fréquentations, il a attrapé la syphilis. Et comme il ne faisait jamais les choses à moitié, il a entrepris de se soigner énergiquement en doublant, voire triplant les doses, avec la complicité d’un fils de médecin de ses amis. Après, on a romancé avec le vilain Salieri (qui ne boxait pas dans la même catégorie, il était directeur du conservatoire de Vienne et y épanouissait de vrais talents d’organisateur et de pédagogue). On a invoqué le commanditaire du Requiem. Qui venait en effet le harceler, mais s’agissait d’un plagiaire fortuné pressé d’éditer le Requiem sous son nom.

    Mais je m'égare...L'exemple de Mozart me semblait emblématique d'un état de la science, et des travestissements que les cinéastes peuvent faire de la réalité. Ou les médias et autres prescripteurs d'opinion actuellement.

     

      • Souris donc
        Lundi 7 Novembre 2016 à 08:34

        Illustration de la post-vérité.

      • Lundi 7 Novembre 2016 à 11:31

        Une quarantaine des premières chroniques médicales sur  ce blog sont consacrées à l'histoire de la médecine où des conceptions farfelues furent prises pour des vérités (nos descendants diront sans doute la même chose de la médecine actuelle) et ont tué beaucoup de malades (la saignée en est un exemple).

        La médecine est un art qui se sert de la science. Depuis que la science a progressé, la médecine fait moins d'erreurs.

        La syphilis a tué beaucoup de génies : dont Schubert, Nietzsche, Maupassant...La prostitution "succès-damné" de l'amour. Pour Beethoven, ce fut l'alcoolisme et peut-être le cuivre ou le plomb, je ne sais plus (entrant dans la préparation des vins de Hongrie à l'époque).

      • Souris donc
        Lundi 7 Novembre 2016 à 15:11

        Beethoven, nous savons tout de lui. Il communiquait par écrit à cause de sa surdité. Son secrétaire, Schindler, gérait ses carnets et a beaucoup rajouté de sa main. Les carnets ont été conservés. Nous savons que Beethoven est mort d'alcoolisme, on devait ponctionner régulièrement une ascite résultant d'une cirrhose.

        Beethoven, la tragédie absolue.

      • Lundi 7 Novembre 2016 à 16:47

        Je soupçonne l'extraordinaire Grande Fugue d'avoir été écrite dans un moment d'ébriété.

    7
    Lundi 7 Novembre 2016 à 14:19

    Ajoutons François 1er à la liste des illustres victimes. 

    Ce qui est marrant , c'est qu'une nouvelle maladie mortelle sexuellement transmissible apparue dans les années 80 a jeté l'effroi dans le monde entier  alors qu'on vivait depuis toujours avec la syphilis sans en faire une histoire.

    Comme quoi on s'habitue vite aux bienfaits de la médecine et aux découvertes de l'industrie pharmaceutique. 

      • Lundi 7 Novembre 2016 à 16:54

        Auparavant la médecine était démunie et la maladie perçue comme une fatalité. Aujourd'hui les malades défilent dans la rue pour réclamer un traitement considéré comme un droit. Le triomphe de la médecine a fait du médecin un technicien à qui on réclame des comptes et de l'Etat un responsable de l'absence de traitement.

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