LE GRAIN DE RAISIN
Il tient le globe entre deux doigts
Le pouce au sud, l’index au nord
Il hésite encore dans son choix
Il n’a pas décidé de son sort
Que faire de cette Terre incurable
Folle à force de tourner à l’envers
Comme un derviche infatigable
Mauvais exemple pour l’Univers
L’écraser comme un grain de raisin
Faire jaillir la pulpe et le jus
Assécher le suc, exploser les pépins
Faire disparaître ce globe corrompu
Les continents basculent et se fracturent
Les montagnes s’écrasent dans les plaines
Le sang brûlant de la Terre jaillit des fissures
Les mers s’élèvent comme des fontaines
Dommage pour les fleurs et les papillons
C’était une réussite, un peu fugace
Les arbres aussi mais sans les bûcherons
Les poètes peut-être. Non, ils L’agacent
Pourquoi hésite-t-Il à écraser ce grain de raisin ?
Pense-t-Il aux arbres, aux fleurs, aux papillons ?
Sans doute car Il retire lentement Sa Main
« Ce n’est pas la peine » dit-Il « Ils s’en chargeront »
Paul Obraska
Karl Brulloff "Le dernier jour de Pompéi"
CATACLYSME
Les hommes fats installés sur la braise
Regardent, satisfaits, leur unique nombril
Et dressent sur la croûte d’une fournaise
Les monuments orgueilleux de leur ville.
Les puissants vaniteux font trembler les gueux
Et tous sont balayés lorsque la terre frissonne,
Lorsqu’elle éructe et vomit ses entrailles en feu
En couvrant de ses cendres jardins et colonnes.
La mer bascule comme une coupe renversée,
Déverse dans l’écarlate sa marée monstrueuse
En noyant dans ses flots ce qui n’a pas brûlé.
La terreur des hommes devant la terre furieuse
Est celle des enfants assaillis de cauchemars
Qu’une mère insensible abandonne dans le noir.
Paul Obraska
Georges Bellows "Stag at Sharkey's"
GLADIATEURS
Trois hommes dans un ring tournent et dansent
Les poings serrés frappent comme des marteaux
Deux corps demi-nus s’emmêlent en silence
Le troisième sous les sueurs surveille l’assaut
Les sculpteurs de chair par les coups étourdis
Aveuglés sous leurs arcades sanglantes
Martèlent sans répit les faces meurtries
S’accrochent l’un l’autre, épaves pantelantes
La foule assemblée pour savourer la violence
Guette la chute des gladiateurs chancelants
Trépigne dans les rangs, hurle sa jouissance
Par ses cris elle pousse les lutteurs au massacre
Et souhaite un combat long et le coma du perdant
Le vainqueur, sourire tuméfié, aura droit à son sacre
Paul Obraska