• La science, discours politiquement incorrect.

    La science, discours politiquement incorrect.

    Au cours de l’Histoire, ce sont surtout les religions qui se sont opposées aux découvertes scientifiques et nombre de savants ont payé de leur vie leur divulgation sur la place publique. On le comprend fort bien, la plupart des religions, et notamment les monothéismes, offrent un modèle tout fait du monde, et toute tentative qui viserait à remettre en question ce modèle rend discutable le récit religieux sur le lequel il est bâti. Avec le temps la plupart des croyants ont séparé science et religion, séparation plus ou moins admise par d’autres comme le prouve la persistance du créationnisme que les plus astucieux repeignent aux couleurs du « dessein intelligent » comme une alternative « scientifique » à la théorie de l’évolution de Darwin.

    Contrairement aux religions, la science est un système ouvert : les théories se succèdent, démontrées ou réfutées, et la science se construit progressivement en s’appuyant sur des faits parfaitement prouvés. Elle se veut insensible aux idéologies et aux croyances, et nombre de grands savants furent des religieux.

    Mais il semble qu’à présent la science est menacée par un nouvel adversaire inattendu : l’individu. L’individu qui n’admet pas que la science puisse le remettre en question ou discuter le statut qu’il s’attribue, surtout lorsqu’il fait partie d’une communauté, qu’elle soit ethnique ou sexuelle

    Pour illustrer ce propos, je me suis permis de reporter intégralement l’éditorial de Peggy Sastre à paraître dans Le Point de demain.

    "Quand l’université devient tribunal

    Aux Etats-Unis, des étudiants en mal de victimisation font trembler les enseignants.

    PAR PEGGY SASTRE*

    Sur les campus de l’anglosphère, les profs ont la trouille. Dans un mélange de consumérisme étudiant, d’emploi académique précaire et de pleutrerie administrative mal camouflée en bienveillance « pastorale », l’ambiance est radioactive. Les élèves peuvent accuser leurs enseignants d’à peu près n’importe quoi et, dans les procédures disciplinaires kafkaïennes qui en découlent, ces derniers n’ont quasiment aucun moyen de se défendre sans bousiller leur carrière et leur santé. Récemment, un professeur new-yorkais était sous le coup d’une plainte pour violation du Titre IX (la législation fédérale sanctionne les discriminations sexuelles dans les établissements recevant des subsides publics) à cause de deux « crimes » perpétrés dans ses cours de psychologie : avoir parlé de « sexualité féminine » et indiqué que l’anorexie touchait davantage les femmes blanches que les noires. Soit une expression anodine et une réalité scientifique pouvant d’ailleurs s’étendre à tous les troubles du comportement alimentaire. Dans le monde universitaire américain, l’hubris de la « culture de la victimisation »est désormais telle que des enseignants sont admonestés pour avoir voulu transmettre leur savoir, la raison d’être de leur travail. 

    Le 28 mai, une tribune publiée dans The Atlantic dénonçait les périls que ce climat fait peser sur la science. Luana Maroja, professeure de biologie au Williams College et directrice de son programme de biochimie, y détaille comment des faits scientifiques sont victimes de la même censure qui occulte des opinions politiques ou des expressions artistiques jugées offensantes par des étudiants qui se métamorphosent en gardes rouges maoïstes. Après avoir banni la formule « femme enceinte » (remplacée par humain enceint) et interdit (ou voulu interdire) des pièces de théâtre jugées « racistes » (mais néanmoins écrites par des Afro-Américains), des élèves en viennent à ne plus vouloir entendre parler de QI, d’héritabilité (le degré de transmission génétique d’un trait, physiologique ou comportemental) ni de sélection de parentèle (une des plus grandes avancées de la théorie darwinienne, permettant notamment de comprendre la coopération et l’altruisme dans le monde animal). Entre autres justifications de leur « dénialisme biologique », les étudiants prétendent que le QI a été inventé pour ostraciser des minorités, que l’héritabilité est un mythe et que la sélection de parentèle légitime le népotisme de Trump. Trois contre-vérités, mais si Luana Maroja cède aux griefs de ses étudiants, comment s’y prendra-t-elle pour les sortir de l’erreur si la simple mention de ces phénomènes devient un sacrilège ? 

    Attaque contre les Lumières. Il y a deux ans, des étudiants d’Evergreen patrouillaient sur leur campus armés de battes de base-ball à la recherche d’un professeur de biologie, Bret Weinstein, coupable à leurs yeux de racisme pour avoir critiqué le bien-fondé d’une journée d’exclusion des Blancs. Dans le Wall Street Journal, son épouse, Heather Heying, elle aussi biologiste, dénonçait une « attaque contre les valeurs des Lumières : la raison, le questionnement et le dissentiment. Les extrémistes de gauche en ont après la science. Pourquoi ? Parce que la science recherche la vérité et que la vérité n’est pas toujours convenable ». En écho au célèbre poème de Martin Niemöller, déporté en 1937, Heying intitulait sa tribune : « D’abord, ils sont venus chercher les biologistes ». L’analogie n’est pas exagérée, car vouloir faire taire un enseignant et se boucher les yeux et les oreilles face à des faits qui nous « outragent » est un carburant à ignorance. Une lacune où germent les despotes et prospèrent les tortionnaires."

    Peggy Sastre est essayiste. Dernier livre paru : « Comment l’amour empoisonne les femmes » (Anne Carrière, 2018).

    ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »

    « Brèves du 4.06.19Rompus du 7.06.19 »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 6 Juin 2019 à 10:47

    La réaction des Américains à tous ces excès idéologiques a été de tordre la barre dans l'autre sens et élisant Trump à la Présidence de leur pays.

    On peut dire que, aujourd'hui, d'une certaine façon, ces gens-là travaillent à sa réélection.

      • Jeudi 6 Juin 2019 à 11:14

        Je le pense également.

        J'ai lu les articles de votre dernière page : je les trouve excellents.

      • Jeudi 6 Juin 2019 à 14:22

        Thanks, Doc

    2
    Jeudi 6 Juin 2019 à 17:04
    Pangloss

    Cela fait peur.

      • Jeudi 6 Juin 2019 à 17:36

        L'idiotie fait toujours peur. Dans cet article je trouve que la perle est "humain enceint" au lieu de "femme enceinte"

    3
    Souris donc
    Jeudi 6 Juin 2019 à 17:28

    Et pourtant elle tourne.

      • Jeudi 6 Juin 2019 à 17:40

        Si ça continue, elle risque de tourner mal.

    4
    Jeudi 6 Juin 2019 à 18:49
    Pangloss

    Avez-vous lu sur A droite fièrement (en lien chez Corto) cet article sur les écoles musulmanes qu'Erdogan veut créer en France et où l'enseignement est "compatible avec l'Islam"?

      • Jeudi 6 Juin 2019 à 19:05

        J'ai lu des papiers sur l'offensive turque en France. Erdogan a tous les toupets. Je crois que Lénine préconisait (à peu près) de ne pas hésiter à enfoncer le couteau pour voir jusqu'où on pouvait aller.

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