• L'hôpital-entreprise

    Pour son budget l’hôpital va être désormais soumis à la « tarification à l’activité » (T2A). Or il y a des activités qui « rapportent », ce sont les actes techniques : la chirurgie et les examens sophistiqués nécessitant un plateau technique lourd. Par contre des services comme la pédiatrie, la gériatrie, les maladies infectieuses, les maladies chroniques exigent du personnel (onéreux) et ne « rapportent » guère ou sont même « déficitaires ».

    Dans le Canard enchaîné du 22 octobre 2008, B.R. écrit que le directeur de l’hôpital St Joseph par ses directives se conduit en digne chef d’entreprise : fermeture du service de pédiatrie, suppression des 2/3 des lits de gériatrie et le service des maladies infectieuses (dont le sida) doit bientôt  fermer. A cela ce directeur n’hésite pas à demander à son personnel de repérer d’éventuels donateurs (ceux assujettis à l’ISF), les rabatteurs pourraient en être récompensés par un éventuel intéressement.

    Mais ces actes qui « rapportent », qui les paye ? L’assurance-maladie bien sûr. L’opération consiste donc à combler le déficit de l’hôpital en creusant le déficit de la Sécurité Sociale, les deux appartenant en principe au même pays, dirigés par les mêmes ministères. On ne soigne plus la débilité mentale car ça ne « rapporte » pas.

    Pour compléter cette vision marchande de la maladie et du malade, je me permets de rééditer ici ma « chronique médicale » sur le nouveau langage de la médecine

     

    Un nouveau langage est apparu en médecine et dans les lois qui la concernent, fortement inspiré de celui de l’entreprise et introduisant enfin la pratique médicale dans l’économie de marché en dehors de laquelle il n’y a pas de salut. Voici un petit glossaire médico-libéral qui permettra aux attardés de se mettre à la page :

     

    Usager du système de santé désigne en fait tout le monde, puisque dès la naissance on acquiert ce statut, ne serait-ce que par les vaccinations obligatoires. On devient usager du système de santé bien avant d’être abonné à un distributeur de service quelconque. D’après le code civil « L’usager ne peut céder ni louer son droit à un autre », c’est un privilège de naissance dans les heureux pays où ce système existe. Etre un usager plutôt qu’un patient contribue à banaliser la maladie et à en faire un état commun, presque normal.

     

    Consommateur de soins désigne une personne malade ou craignant de l’être. Il était opportun de remplacer le terme malade par consommateur, plus  valorisant. La maladie constitue un handicap et introduit une discrimination, alors que consommer des soins c’est comme acheter une marchandise et participer à l’activité économique du pays.

     

    Producteurs de soins. Le médecin en fait partie, mais il n’est pas le seul. Un producteur de soins a la particularité de ne rien produire et élever le médecin au rang de producteur devrait le satisfaire. Formé pour porter secours aux autres, il avait jusqu’à présent une conception romantique de son rôle et devenir enfin un acteur économique est tout de même plus sérieux.

     

    Capital santé. Etre malade ou en bonne santé ne signifie plus grand chose. Nous sommes tous capitalistes. Notre santé constitue un capital. Malheureusement, on ne peut ni l’investir, ni le faire fructifier. Par contre, on peut tenter de le préserver ou de le récupérer. « …le patient est prêt à participer à la décision médicale et à acquérir une certaine autonomie dans la gestion de son capital santé »[1]. Le capital santé, comme tout capital qui dort, s’érode avec le temps, sa particularité est de disparaître avec le capitaliste. Ses descendants n’héritent que du capital génétique qu’ils ne peuvent refuser même lorsqu’il est défaillant.

     

    Propriétaire. Un consommateur de soins est propriétaire de sa maladie (et bien sûr du dossier qui la décrit). Le détenteur cette propriété cherche à s’en débarrasser au plus vite et à tous prix, jusqu’à rémunérer celui qui l’en débarrassera. Quoi qu’il en soit, la propriété est sacrée et il n’est pas question que le médecin s’en empare comme si elle était sienne et prenne des décisions au nom du propriétaire légitime. Le médecin ne doit pas s’approprier indûment la maladie de son patient et lui retirer cet avantage sans son avis.

     

    Gestion. Ce terme fait fortune dans tous les domaines et il n’y a aucune raison de ne pas l’appliquer à la médecine. On gère un amour, une amitié, un mariage, des enfants…Alors on peut gérer un malade, une maladie, un traitement comme on gère une entreprise.

     

    Co-gestion. Laissons la parole au Dr M. Ducloux, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins[2] : «  le passage du malade passif, dans une relation de bienveillant paternalisme médical, à un patient devenant davantage actif et co-gestionnaire de sa santé ». En bonne logique économique, il aurait du parler de la co-gestion du capital santé. Chacun sait à présent que le médecin et le consommateur de soins sont des partenaires, voire des associés dans la gestion de la maladie, mais seul l’un d’entre eux en est le propriétaire et l’autre fait de son mieux pour l’exproprier en ménageant sa susceptibilité.

     

    Négociation. Il est évident que les partenaires d’une co-gestion sont amenés à négocier. Ils négocient quoi ? Les examens et le traitement dont doit bénéficier l’un d’eux, toujours le même. Et que se passe-t-il si ce dernier les refuse ? Il reste propriétaire de sa maladie. C’est tout.

     

    Prestataire de service. La jurisprudence[3] fait du médecin un prestataire de service comme un autre, soumis aux mêmes obligations vis à vis de son client qu’un assureur, un vendeur ou un banquier. Non seulement le médecin doit dire la vérité, mais il doit aussi prouver qu’il l’a dite et que son patient l’a bien comprise. Dans le contrat qu’il passe avec le consommateur de soins, les petits caractères illisibles qui viseraient à tromper son client sont interdits. La transparence permet au consommateur de soins de se voir tel qu’il est, à lui d’assumer pleinement sa propriété.

     

    C’est beau l’humanisme.

     

    [1] Philippe Eveillard, La Revue du Praticien / 2004 : 54

    [2] Conférence inaugurale du Médec 2004

    [3] « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».( Arrêt Hédreul de la Cour de Cassation de 1997)

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  • Commentaires

    1
    Lundi 27 Octobre 2008 à 18:47
    Il fut un temps où être médecin était une vocation ! Je suis abasourdie par ce que vous dites et plutôt inquiète pour l'avenir du "parcours santé". On en revient au : "il vaut mieux être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade" !
    2
    Lundi 27 Octobre 2008 à 19:11

    La vocation existe toujours, mais les rapports médecin-malade sont devenus différents (ce qui n'est pas toujours un mal) et les impératifs économiques ont complètment changé le regard des autorités sur la médecine et ses buts premiers. Reste que je suis comme vous, et comme la plupart des médecins, effrayé par cette évolution, d'autant plus que j'ai eu la chance d'exercer une médecine tout à fait différente. Je me pose parfois la question : qui me soignera, moi ? Et comment.
    Dr WO

    3
    Lundi 27 Octobre 2008 à 20:23
    Une seule solution: mourez d'un coup sec! Vous aurez au moins le plaisir de ne pas grever le budget de la sécu. En attendant portez-vous bien!
    4
    Lundi 27 Octobre 2008 à 21:24
    C'est an effet la solution idéale à programmer le plus tard possible.
    Dr WO
    5
    Mardi 28 Octobre 2008 à 08:25
    Cela va sans dire!
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