• L’histoire incorrecte

    L’histoire incorrecteLa tendance est de revisiter l’histoire. Echauffourées autour de la statue du général Lee, commandant de l’armée du Sud pendant la guerre de Sécession dont l’un des motifs fut la libération des esclaves noirs imposée par les Etats du Nord des USA. Volonté des Amérindiens de déboulonner toutes les statues étasuniennes de Christophe Colomb accusé de génocide. Déprogrammation du film « Autant en emporte le vent » à Memphis (ville à majorité noire) qui donnerait une vision romantique du Sud esclavagiste et un aspect dévalorisant des noirs…

    Ces visites rétrospectives à la lumière de la doxa du présent font évidemment penser à 1984, le roman de Orwell, où la « mutabilité du passé » est érigée en principe, où le passé n’existe pas en soi mais n’est qu’une construction mentale, des souvenirs susceptibles d’être effacés pour la bonne marche de la société, mais où détenir le passé c’est détenir l’avenir.

    On peut évidemment comprendre que les noirs aient une hostilité pour ceux qui ont fait leur malheur ou ceux qui ont combattu pour maintenir leur condition d’esclave, comme on peut comprendre aisément que furent abattues les statues de Lénine et de Staline après la chute du rideau de fer.

    Mais où va s’arrêter la « mutabilité » de l’histoire ? L’histoire est faite « de bruit et de fureur ». Beaucoup de statues ont du sang sur leurs mains de métal ou de pierre, à commencer par celle de Napoléon Bonaparte et de tous les guerriers à cheval ou brandissant des épées. Seules les statues des « bonnes personnes » pourraient être maintenues encore qu’elles risquent d’être remises en cause ou critiquées par une minorité quelconque. Les saints eux-mêmes peuvent laisser à désirer (voir « Une sainte qui sent le fagot ? »).

    En outre, la doxa du présent peut suivre la fugacité du présent et les visiteurs de l’histoire se multiplier au cours du temps. Dans 1984, les archives sont perpétuellement remaniées puisque le passé n’existe pas mais se reconstruit en fonction du présent. Dans notre monde, il faut peut-être faire en sorte de ne pas trop revisiter l’histoire si l’on veut que le passé continue d’exister, même dans sa cruauté. Il est vrai que, contrairement à 1984, notre histoire laisse des traces concrètes qui en perpétuent le souvenir, et que certains voudraient effacer ces traces pour effacer le souvenir ou en tout cas ne pas le magnifier.

    Revisiter l’histoire, c’est aussi pouvoir la falsifier comme le font les négationnistes, indifférents aux traces et aux témoins, rejoignant 1984 dans la fabrication du passé.

    Censurer les œuvres artistiques du passé parce que non conformes aux opinions du présent ou susceptibles de heurter une communauté quelconque, c’est appauvrir notre patrimoine. Il suffit de les remettre dans le contexte de l’époque, et les aimer pour leur valeur artistique.

    Il faut tout de même constater que la quasi- totalité de notre patrimoine artistique est politiquement incorrecte selon les critères actuels. Je ne pense pas qu’il soit menacé d’épuration, mais il faut toujours se méfier, car « Là où l’on brûle des livres…On finit aussi par brûler des hommes » (Heine, Almansor)

    « La cartomancienne se voyait un avenir doréIl est allé se faire avoir chez les Grecs »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Septembre 2017 à 17:20

    Extraits (choisis... y'a pas de raison !) de wikipedia

    Le négationnisme .../... consiste en un déni de faits historiques, malgré la présence de preuves flagrantes rapportées par les historiens, et ce à des fins racistes ou politiques.

    …/...

    Bien que le spectre des épisodes visés par les négationnistes soit large, des traits communs se retrouvent dans leurs négations respectives, et notamment l'emploi de l'hypercritique des sources et des témoignages.

    …/...

    Les thèses négationnistes reposent le plus souvent sur des faits maquillés, et sur la contestation ou l'omission délibérée des éléments à charge. Ces thèses peuvent être le fait d'extrémistes de faussaires (protochronistes par exemple) mais parfois aussi d'auteurs qui se présentent comme des "historiens" qui emploient la méthode hypercritique pour déclarer que les preuves sont insuffisantes.

    …/... 

    Le négationnisme vise des objectifs politiques, en se référant au passé pour agir sur le terrain des conflits du présent. …/... Le négationnisme ne procède pas de l’ignorance ou d’une méprise de celui qui le défend, mais d’une intention délibérée de falsifier les faits. Il n’est donc pas une erreur, mais une tromperie [et] admettre la diffusion d’idées négationnistes tend à présenter celles-ci comme des "opinions" recevables et respectables comme n’importe quelles autres, au nom de la liberté d’opinion et d’expression. Le "négationniste" y gagne en respectabilité et parvient ainsi à se placer au même niveau que l’historien et le savant, au préjudice de la vérité ramenée elle-même à une simple

     

     

      • Jeudi 7 Septembre 2017 à 18:15

        Tout cela complète en enrichit mon petit billet.

    2
    Souris donc
    Jeudi 7 Septembre 2017 à 20:24

    Quelques statues à déboulonner : les horreurs qui ornent les ronds-points.

      • Jeudi 7 Septembre 2017 à 20:36

        C'est une horreur impressionnante de quoi envoyer son auteur en rééducation.

    3
    Jeudi 7 Septembre 2017 à 20:47

    Ces gens ne comprennent pas que le passé n'est pas le présent et que l'Histoire n'est pas chose actuelle.

      • Jeudi 7 Septembre 2017 à 20:53

        On peut en effet penser que c'est une façon anachronique de considérer l'histoire.

    4
    Vendredi 8 Septembre 2017 à 08:07

    Comme disait je ne sais plus qui, certains confondent narration historique et narration hystérique. 

    Mais c'est vrai que l'histoire, au delà des faits, a bien une composante  "construction mentale". Quand a commencé l'histoire de France, par exemple? avec Clovis ou avec Vercingétorix ? 

      • Vendredi 8 Septembre 2017 à 09:32

        Une interprétation des faits même honnête est une construction mentale.

    5
    Souris donc
    Vendredi 8 Septembre 2017 à 09:08

    Le "roman national", nos ancêtres les Gaulois, est un facteur de cohésion sociale, à distinguer des autres formes d'études du passé, le travail du journaliste sur l'actualité et le passé récent, la recherche scientifique utilisant les archives et des procédures rigoureuses. Le politique est dans l'idéologie, quand il se met sciemment à faire table rase, le totalitarisme est à l'oeuvre (Bouddhas de Bamyan).

    La colère populaire ? Comment savoir si elle n'est pas téléguidée ? Au moment des commémorations du Vème centenaire de l'arrivée de Christophe Colomb, sur la même île*, Haïti, francophone, a balancé la statue à la mer, la République Dominicaine a organisé des fêtes grandioses. Les Dominicains, hispanophones, en effet, se considèrent comme des descendants d'Espagnols, même ceux à peau noire. Comme nos ancêtres, les Gaulois, quelle que soit la couleur du petit écolier. 

    * Hispaniola

      • Vendredi 8 Septembre 2017 à 09:33

        On voit que l'éclairage du passé dépend de celui qui éclaire.

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    6
    Souris donc
    Vendredi 8 Septembre 2017 à 18:36

    Dr Wo, les visites rétrospectives à la lumière de la doxa du présent s’appellent des relectures. J'ai commis un papier à ce sujet.

    Opéra : les conventions acceptent toutes les invraisemblances. Manon Lescaut se situe à l’époque de la Régence entre Louis XIV et Louis XV. Où l’on déportait les prostituées en Amérique. Les metteurs en scène d’opéra ne se gênent pas pour recontextualiser. On a vu une Manon sous Mussolini. Il y a des modes. Un moment les chanteurs devaient se traîner par terre avec le litron (décadence de l’Occident ?), puis vint la mode des bottes (mise en garde contre la fachosphère ?). Maintenant, les handicapés.

    Teresa Berganza :
    Est-ce qu’on irait dire à des jeunes: «Le Tintoret est un peintre trop vieux, si l’on rajoutait du rouge ou du jaune fluo pour rendre ses toiles plus modernes?»
    Le premier qui ferait cela se retrouverait en prison. On devrait en faire autant avec certains metteurs en scène. [...] S’ils veulent recontextualiser, qu’ils donnent des conférences.
    (Interview au Figaro)

    Une génération après, Anna Netrebko dit la même chose (Interview Classica de septembre 2017).

      • Vendredi 8 Septembre 2017 à 19:35

        Bien sûr, je suis d'accord avec votre article. Des relectures, certes, mais par des analphabètes.

      • Souris donc
        Vendredi 8 Septembre 2017 à 21:33

        Ils connaissent le répertoire, mais sont encombrés d'idéologie.

        Contrairement à Strehler, Losey, Zeffirelli, Bob Wilson, Sellars, Carsen, Lepage. Qui stylisent éventuellement, mais ne transposent pas en politiquement correct. 

      • Vendredi 8 Septembre 2017 à 21:39

        Idéologie et/ou soif d'originalité sur des routes empruntées mille fois.

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