• Glossaire-avenant au serment d’Hippocrate

    goya75.jpgDepuis plus d’une décennie un nouveau langage est apparu en médecine et dans les lois qui la concernent, fortement inspiré de celui de l’entreprise et permettant d’introduire la pratique médicale dans l’économie de marché en dehors de laquelle il n’y a plus de salut. Voici un petit glossaire du langage médico-libéral qui a permis de moderniser le sentimental « colloque singulier » entre un médecin et son malade, en donnant un sacré coup de vieux au serment d’Hippocrate.

    Je propose donc d’ajouter ce glossaire sous la forme d’un avenant à ce serment antique que les médecins prêtent au moment de l’obtention de leur doctorat.

     

    USAGER DU SYSTEME DE SANTE désigne en fait tout le monde, puisque dès la naissance on acquiert ce statut, ne serait-ce que par les vaccinations obligatoires. On devient usager du système de santé bien avant d’être abonné à un distributeur de service quelconque. D’après le code civil « L’usager ne peut céder ni louer son droit à un autre », c’est un privilège de naissance dans les heureux pays où ce système existe. Etre un usager plutôt qu’un patient contribue à banaliser la maladie et à en faire un état commun, presque normal.

     

    CONSOMMATEUR DE SOINS désigne une personne malade ou craignant de l’être. Il était opportun de remplacer le terme malade par consommateur, plus  valorisant. La maladie constitue un handicap et introduit une discrimination, alors que consommer des soins c’est comme acheter une marchandise et participer à l’activité économique du pays.

     

    PRODUCTEURS DE SOINS. Le médecin en fait partie, mais il n’est pas le seul. Un producteur de soins a la particularité de ne rien produire et élever le médecin au rang de producteur devrait le satisfaire. Formé pour porter secours aux autres, il avait jusqu’à présent une conception romantique de son rôle et devenir enfin un acteur économique est tout de même plus sérieux.

     

    CAPITAL SANTE. Etre malade ou en bonne santé ne signifie plus grand chose. Nous sommes tous capitalistes. Notre santé constitue un capital. Malheureusement, on ne peut ni l’investir, ni le faire fructifier. Par contre, on peut tenter de le préserver ou de le récupérer. « …le patient est prêt à participer à la décision médicale et à acquérir une certaine autonomie dans la gestion de son capital santé »[1]. Le capital santé, comme tout capital qui dort, s’érode avec le temps, sa particularité est de disparaître avec le capitaliste. Ses descendants n’héritent que du capital génétique qu’ils ne peuvent refuser même lorsqu’il est défaillant.

     

    PROPRIETAIRE. Un consommateur de soins est propriétaire de sa maladie (et bien sûr du dossier qui la décrit). Le détenteur de cette propriété cherche à s’en débarrasser au plus vite et à tout prix, jusqu’à rémunérer celui qui l’en débarrassera. Quoi qu’il en soit, la propriété est sacrée et il n’est pas question que le médecin s’en empare comme si elle était sienne et prenne des décisions au nom du propriétaire légitime. Le médecin ne doit pas s’approprier indûment la maladie de son patient et lui retirer cet avantage sans son avis.

     

    GESTION. Ce terme fait fortune dans tous les domaines et il n’y a aucune raison de ne pas l’appliquer à la médecine. On gère un amour, une amitié, un mariage, des enfants…Alors on peut gérer un malade, une maladie, un traitement comme on gère une entreprise.

     

    COGESTION. Laissons la parole au Dr M. Ducloux, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins[2] en 2004 : «  le passage du malade passif, dans une relation de bienveillant paternalisme médical, à un patient devenant davantage actif et cogestionnaire de sa santé ». En bonne logique économique, il aurait du parler de la cogestion du capital santé. Chacun sait à présent que le médecin et le consommateur de soins sont des partenaires, voire des associés dans la gestion de la maladie, mais seul l’un d’entre eux en est le propriétaire et l’autre fait de son mieux pour l’exproprier en ménageant sa susceptibilité.

     

    NEGOCIATION. Il est évident que les partenaires d’une cogestion sont amenés à négocier. Ils négocient quoi ? Les examens et le traitement dont doit bénéficier l’un d’eux, toujours le même. Et que se passe-t-il si ce dernier les refuse ? Il reste propriétaire de sa maladie. C’est tout.

     

    PRESTATAIRE DE SERVICE. La jurisprudence[3] fait du médecin un prestataire de service comme un autre, soumis aux mêmes obligations vis à vis de son client qu’un assureur, un vendeur ou un banquier. Non seulement le médecin doit dire la vérité, mais il doit aussi prouver qu’il l’a dite et que son patient l’a bien comprise. Dans le contrat qu’il passe avec le consommateur de soins, les petits caractères illisibles qui viseraient à tromper son client sont interdits. La transparence permet au consommateur de soins de se voir tel qu’il est, à lui d’assumer pleinement sa propriété.

     

    Goya : « Autoportrait avec le Dr Arrieta »



    [1]Philippe Eveillard, La Revue du Praticien / 2004 : 54

    [2]Conférence inaugurale du Médec 2004

    [3] « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ». ( Arrêt Hédreul de la Cour de Cassation de 1997)

    « Au Café du CommerceTransparence »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 19:35
    Le talent et l'ironie ne cache pas la blessure que vous ressentez; Blessure justifiée s'il en fut !
    Ces appellations sont stupides et dénature la relation médecin patient, elles dévalorise la fonction, et tend à la rabaisser, alors que l'on croit tout aussi stupidement revaloriser les travaux de nettoyages par des titres ampoulés et stupides tels que "technicienne de grande surface ou agent de propreté". De mon point de vue les termes employés sont beaucoup plus blessants que femme de ménage, car ils portent à croire que la chose est si honteuse qu'il faut lui donner de faux quartiers de noblesse ! l'honorabilité est de gagner sa vie, et je suis certaine que beaucoup aimerait être moins bien nommés et mieux rémunérés !
    Je suis en colère contre ces gens trop bien payés qui accouche de ces âneries en s'imaginant avoir pondu la Tour Eiffel !
    La France perd ses repères et ce qui faisait sa grandeur, Elle assimile les études prolongées et difficiles à des travaux je le répète honorables mais sans commune mesure.
    Mon facteur est devenu agent de la poste, et le bon maître de jadis, , professeur des écoles ! Quelle foutaise, et je suis polie.
    Bref DR WO, quelle merdasse, que ce snobisme ridicule !
    Nettoue
    2
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 20:36
    Cet article est remarquable, il m'a beaucoup plu (surtout le chapitre sur la cogestion). Pas facile d'être un médecin ou un patient à l'heure actuelle. Les VERITABLES gestionnaires, à mon avis, ne sont ni l'un ni l'autre mais bien les labos en amont qui arrivent à faire passer leur terminologie medico-capitaliste en même temps que leurs idées bien préparées.
    3
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 21:50
    Bel article Doc. Bravo. Un paragraphe m'a tout de même interpelé. Il s'agit du paragraphe PROPRIETAIRE. Tout a fait d'accord avec l'explication, excepté que je viens une fois de plus de subir l'abus de pouvoir du système médical. En effet, le 9/09 j'étais admise aux urgences de pontchailloux pour un problème de compression de botte de résine, je ressors le 10 avec mes radios,et nouvelle botte. Le 30 nouveau RV avec le chirurgien de l'hôpital sud qui me suit et qui est relié à pontchailloux par intranet. D'une part je me suis faite engueuler car mon médecin traitant m'avait expédié aux premières urgences qui pouvaient me prendre. D'autre part, mes radios de Pontchailloux m'ont été kidnappées par le chirurgien qui a classé cela dans mon dossier C'est ce que j'appelle de le rétention d'informations par le corps médical. Alors Doc, comment récupérer mon dossier pour le transmettre à la structure de rééducation fonctionnelle qui doit me prendre en charge en hôpital de jour?
    4
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 22:18

    Il y a une sémantique du politiquement correct qui ne change pas la réalité des choses : un technicien de surface continue à faire le ménage et un malententant à être sourd. Par contre ici le langage transforme la réalité. Vous avez raison, il y a de ma part un peu d'amertume, je n'avait pas choisi d'être médecin avec cette conception de la médecine et je plains les générations qui me suivent.

    5
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 22:25

    Les labos ne sont pas responsables de ce langage. Il vient des autorités (surtout depuis la loi de 2002) et de certains médecins eux-mêmes (voir les citations) et qui le plus souvent n'exercent pas mais prétendent apprendre aux autres la façon d'exercer.

    6
    Vendredi 30 Septembre 2011 à 22:35

    En principe, non seulement vous êtes "propriétaire" de votre "maladie" mais également du dossier. Si le centre de rééducation a besoin du dossier, il doit lui être communiqué, quitte à le renvoyer au chirurgien par la suite. Il est certain que ce chirugien a besoin des radios pour vous suivre à titre de comparaison (solidification, état du matériel etc..). Il ne s'agit pas de rétention d'informations, ces informations sont indispensables pour le suivi, alors que leur utilité est toute relative pour le rééducateur.

    7
    Samedi 1er Octobre 2011 à 00:01
    Heureuse de vous lire à nouveau .Oui ces nouvelles terminologies "dénaturent " effectivement le sens premier de la médecine la rendant plus comptable qu'humaine et l'expression de votre "clown " regardant le monde exprime bien mon sentiment sur ce sujet On peut s'interroger sur l'utilité de cet axe d'orientation .Cette loi 2002 a t'elle été bénéfique ?
    8
    Samedi 1er Octobre 2011 à 09:54
    J'éprouve en vous lisant, une certaine tristesse et même un peu de crainte. Si je consulte un médecin, c'est parce que je lui fais confiance. Je reconnais qu'il possède des connaissances que je n'ai pas et je remets ma petite santé entre ses mains. Autant, je me sens capable (à tort?) de porter un jugement sur la gestion par la puissance publique du système de santé où on raisonne sur l'ensemble que constitue une population, autant je redoute que la relation personnelle et particulière entre mon médecin et moi soit polluée par des considération de politiquement correct et de marketing.
    Il ne viendrait pas à l'idée de ces crânes d'oeuf d'avoir, vis-à-vis du pilote de l'avion qui les transporte, la même attitude qu'ils nous conseillent d'avoir face au médecin que l'on consulte.
    9
    Samedi 1er Octobre 2011 à 10:21

    Peut-être que les générations plus jeunes n'ont pas la même vision humaniste que les plus anciennes. L'article parait ironique, mais l"ironie vient de la simple exposition des faits. Rien n'est inventé, ces termes existent et sont employés par les autorités et, comme je l'ai montré, par certains médecins. C'est une conception officielle. C'est en effet triste. 

    10
    Samedi 1er Octobre 2011 à 10:29

    Utilité ? Elle a surtout durci les positions en banalisant une profession particulière en la mettent au niveau du simple service et en la dépouillant de son côté humaniste. La loi 2002 n'est pas négative pour ce qui concerne les malades, mais il est toujours délicat de légiférer sur les relations médecin-malade.

    11
    Samedi 1er Octobre 2011 à 18:19
    Tout ce que vous écrivez est trstement juste ! Ce qui me gêne peut-être le plus est cette idée d'être "propriétaire" de "sa" maladie ! Ce concept me paraît ête une dangereuse aberration !
    12
    Samedi 1er Octobre 2011 à 18:38
    Fidèle depuis 30 ans à mon médecin (une femme).. devenu depuis quelque temps mon référent par la force de la loi.. elle n'est pas pour moi un "prestataire de services" comme un autre.. non elle est quelqu'un en qui j'ai confiance et qui prend le temps de répondre à toutes mes naïves questions mais qui garde maîtrise du choix des soins.
    13
    Samedi 1er Octobre 2011 à 19:08

    Je suis bien d'accord avec vous. Ce terme est utilisé par certains pour renforcer la notion d'autonomie du malade. Je le trouve indécent.

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    14
    Samedi 1er Octobre 2011 à 19:10

    C'est de cette façon que les relations doivent s'instaurer.

    15
    Dimanche 2 Octobre 2011 à 09:10
    pas plutôt : usagé du système de sante ? amitiés cafardesques
    16
    Dimanche 2 Octobre 2011 à 09:54

    Après une longue utilisation du système.

    17
    Dimanche 2 Octobre 2011 à 12:51
    A mon humble avis, c'est le revers de la médaille Sécurité Sociale. Selon le vieux principe "c'est celui qui paie qui décide", les hauts fonctionnaires de cette belle institution traitent la médecine ET les médecins comme des salariés subalternes en leur imposant un langage, bien sûr, mais aussi des contrôles, des directives, des menaces, etc...
    18
    Dimanche 2 Octobre 2011 à 18:52
    Certes, vous avez raison, mais à votre avis, qui "dicte" aux autorités peu compétentes la direction à prendre ? Pensez-vous que les groupes d'influences n'existent plus ?
    19
    Lundi 3 Octobre 2011 à 10:15
    Lorsqu'un médecin (pas mon "traitant", un "en urgence") passe autant de temps en formalités administratives qu'à examiner le patient pendant une consultation, faut-il s'inquiéter sur ce qu'est devenue la médecine de nos jours ?
    20
    Lundi 3 Octobre 2011 à 10:47
    Vive la LOLF ! Vive la RGPP !

    Depuis quelques années, nos grandes pontes s'interrogent sur le temps que je passe par dossier. Les magistrats se sont assurés et depuis ce matin, la Justice est payante. Tout va bien !
    21
    Lundi 3 Octobre 2011 à 11:11

    Vous avez raison. Un petit rectificatif cependant qui semble échapper à beaucoup : la sécurité sociale ne paye pas les médecins, elle paye les patients.

    22
    Lundi 3 Octobre 2011 à 11:16

    Les autorités ont intérêt à transformer le médecin en agent économique avec l'appui des associations de malades (le médecin prestataire de service). Dans ce domaine les labo. n'ont pas intérêt à mettre l'économie en avant, contrairement aux assurances privées.

    23
    Lundi 3 Octobre 2011 à 11:18

    La pression administrative est une des causes de la désaffection de la profession médicale pour le secteur libéral.

    24
    Lundi 3 Octobre 2011 à 11:19

    Pourriez-vous m'éclairer davantage ?

    25
    Lundi 3 Octobre 2011 à 13:23
    Vous éclairer ?
    26
    Lundi 3 Octobre 2011 à 16:12

    Sur votre commentaire.

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