• De la persuasion au chantage

     

    Le paradoxe du pouvoir médical. Si le médecin n'avait pas de pouvoir, on se demande pourquoi on irait le consulter. Le pouvoir du médecin est redouté, critiqué,  honni mais nécessaire et recherché. Ne pas l'exercer constitue une faute professionnelle, à la limite condamnable : c'est la paradoxe du pouvoir médical.

    Sur la société la médecine exerce une dictature. Comme toute dictature, elle est basée sur la terreur, celle de la maladie et de la mort. Comme toutes les dictatures, elle prétend s'exercer pour le bonheur de la population et trace les limites du bien et du mal

    Il est mal de fumer. C'est en tous cas s'exposer aux multiples façons de mourir par le tabac. Longtemps symbole de virilité, il peut conduire à l'impuissance en rétrécissant les artères. Devenu symbole d'indépendance et d'égalité chez la femme, il lui permet d'avoir des cancers de l'homme qu'elle n'avait que rarement auparavant et de succomber plus tôt, comme lui, aux maladies cardio-vasculaires. « Juste après le coït on entend rire le diable » (Schopenhauer). C'est sûrement parce que c'est le moment où l'on fume une cigarette.                                                                           

    Il est mal d'être gros. L'épidémie d'obésité des pays développés est à la limite indécente mais contrebalance la perte de poids des dénutris  des pays pauvres, permettant ainsi la stabilité pondérale de la biosphère. La calorie, unité de quantité de chaleur et de valeur énergétique des aliments, est omniprésente dans les conversations des dîners en ville où les convives transmutent simultanément la chaleur en poids et l'énergie en masse. L'amaigrissement est l'objectif déclaré d'une industrie alimentaire pléthorique qui fait de la prévention et de la santé ses arguments publicitaires principaux. A cet égard, les idées médicales ont un impact économique pour lequel les médecins devraient réclamer des droits d'auteurs.

    Mais rien n'est simple : si le surpoids favorise les maladies cardiovasculaires, en cas d'accident cardiaque l'évolution semble plus favorable chez les gros que chez les maigres.                                                                            

    Il est mal de manger ceci ou cela. On s'alimentait pour vivre en y prenant si possible du plaisir. La médecine a heureusement modifié les choses : on mange pour ne pas être malade, suivre l'ANR (apport nutritionnel recommandé)   et devenir assez vieux pour ne plus avoir de dents pour manger « car l'important n'est plus de vivre pleinement le temps qui nous est alloué mais de tenir le plus tard possible : à la notion d'étapes de la vie succède celle de longévité » (Pascal Bruckner)[1]. « Alicament » est une trouvaille néologique qui sert à vendre un aliment auquel le fabriquant attribue des vertus thérapeutiques.                                                                           

    Il est mal d'être sédentaire. Pourtant «  Les exercices corporels, eux, ne servent pas à grand chose »  (St Paul)[2]. C'était également l'avis bien connu de Churchill qui attribuait sa longévité à son mépris du sport :« never sport ». A notre époque le sport a cependant bonne presse, surtout pour les articulations qui s'usent et les disques qui s'écrasent. Bouger, certes, mais pourquoi s'épuiser ?

    Pour votre bien soyez inquiet. Le mode de vie conseillé par les médecins s'applique à toute la population, ceux qui ne rentrent pas dans le cadre vertueux  sont marginalisés et montrés du doigt. S'éloigner de la moyenne statistique devient un péché mortel. Et en plus, les médecins ont raison !

    Toute la population est soumise par tous les moyens : radio, télévision, journaux, internet, à des messages l'informant de toutes les maladies dont elle peut être atteinte. Diffusion insidieuse, permanente de notre fragilité. Il est confirmé à celui ou celle encore en bonne santé que cette état n'est que transitoire et qu'il n'est pas raisonnable de jouir de cette félicité. Les gens qui se sentaient bien finissent par se sentir mal à l'annonce qu'ils ont tel ou tel risque d'avoir telle ou telle maladie et ceci de façon répétée. Crainte diffuse et diffusée que les annonceurs utilisent pour recueillir des fonds. Mais obtenir de l'argent sous la menace n'est-ce pas du chantage ?


    [1] L'Euphorie perpétuelle, éd Grasset et Fasquelle, 2000

    [2] 1ère épître à Timothée 4/8

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 19:56

    Ce sont surtout les médias qui parlent le plus du sport, à croire qu'ils sont partis prenantes!

    Vous n'êtes pas tendre pour vous et vos confrères, mais malheureusement on ne peut s'en passer et heureusement, que nous avons les médecins!

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    2
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 20:05

    Les médecins font individuellement leur métier. Ce que je trouve excessif, c'est la médicalisation invasive de la société.

    3
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 20:19

    Désert médicaux et médicalisation invasive: sale temps pour les hypocondriaques!

    4
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 20:41

    Pour l'hypocondrie, il vaut mieux habiter la ville pour la satisfaire, mais elle ne sera pas guérie pour autant, elle risque même d'être amplifiée.

    5
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 21:19

    Coucou Doc, A vous lire, c'est un coup à devenir hypocondriaque ! La médiatisation excessive du "fait pas ci, fait pas ça" fragilise l'esprit déjà très anxieux du français moyen qui pour accentuer le phénomène recherche sur internet des renseignements qu'il n'est pas à même d’interpréter correctement. Bonne soirée on ami.

    6
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 23:18

    De ce point de vue, internet est d'une grande richesse, c'est une source illimitée d'hypocondrie.

    7
    Vendredi 5 Décembre 2014 à 09:57

    La dictature de la médecine? Bof, c'est tout bête, il suffit de ne pas y faire attention : fumer comme des pompiers, bouffer comme des cochons, b...comme des bêtes et, dans toute la mesure du possible, ne rien faire...et surtout pas du sport. C'est cela profiter de la vie...courte et bonne! Seulement, arrivés à un certain âge nous l'apprécions toujours "bonne" mais "courte" de moins en moins, du coup la dictature en question nous paraît moins sévère...

    Amitiés.

     

    8
    Vendredi 5 Décembre 2014 à 10:12

    La promesse de sécurité est le meilleur argument des dictatures.

    9
    Vendredi 5 Décembre 2014 à 14:15

    Selon mon expérience, c'est encore de la bouche du médecin que j'ai le plus de chance d'entendre "Ce n'est rien. Un peu de repos et vous irez mieux." 

    Ceux qui "médicalisent" la société sont ceux qui gravitent autour de lui : fonctionnaires investis d'une mission divine, ministres soucieux de laisser une loi portant leurs noms, laboratoires en quête de nouveaux marchés...   

    10
    Vendredi 5 Décembre 2014 à 14:24

    Dans leur cabinet, la plupart des médecins (je ne parle pas des charlatans ou des "sadiques") tentent de rassurer leurs patients ou en tout cas de les soutenir. Ne pas ajouter d'angoisse à l'angoissant. La médicalisation de la société ne vient pas d'eux, mais des organismes officiels relayés par les médias. Les médias savent qu'ils vendront en parlant de la santé.

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