• CIMETIERES

    I

    C’est un joli cimetière Où les tombes bien en rangs Comme s’alignent les enfants Dans la cour de l’école primaire Guettant le signal pour s’éparpiller A tous vents en criant leur liberté

    Et les morts attendent sagement Qu’on vienne un jour les délivrer Immobiles sans trop s’impatienter  L’endroit est joli et ils ont le temps

    Ses portes comme des bras écartés Ouverts sur le monde des vivants Invitent les nouveaux morts à entrer A se coucher sans faire de manière Les anciens pousseront leur pierre Pour faire une place au nouvel arrivé

    Les vivants entrent toujours gênés Ils marchent lentement en silence Avec respect pour ne pas les réveiller Mais ne montrent aucune impatience Dans ce joli cimetière pour y rester

    II

    Où vont-ils tous ces morts depuis la nuit des temps ? Ils sont innombrables et les cimetières si petits Sont-ils la terre que piétinent les vivants ?

    Peut-être lassés d’être piétinés sortent-ils la nuit Hors de leurs boîtes de bois verni les squelettes Iraient se promener dans un bruit de cliquetis Les momies dérouleraient leurs bandelettes Et sortiraient du sarcophage sans leur habit Les pharaons quitteraient le noir des pyramides Pour jouer sous la lune avec le sable du désert Et ceux qui n’ont pas eu de sépulture solide Émergeraient comme des racines de la terre

    Où vont-ils tous ces morts depuis la nuit des temps ? Les cimetières sont si petits mais le ciel est si grand

    Peut-être errent-ils dans le firmament En soufflant sur la queue des comètes Pour en faire de la poussière d’argent Les morts emporteraient leurs squelettes Pour fabriquer avec des météorites filants Aux cieux les morts feraient ainsi la fête Et laisseraient la terre aux vivants

    Alors les vivants ne devraient pas encombrer les nues S’ils veulent que les morts ne leur tombent pas dessus

    III

    Bruissement sous nos pas des feuilles écrasées Leurs débris odorants embaument la terre Notre mort est moins belle que leur mort empourprée Sous la dureté de la pierre pourrissent nos chairs

    Dans les allées mordorées aux ramures nues Les troupes noires des vivants regroupés Marchent en murmurant sur la terre feuillue Réceptacle sans retour de leur destinée

    C’est ici que l’on empile les êtres aimés Dans les étages d’une demeure souterraine Dans de longues boîtes de bois effeuillé Présences si proches et pourtant si lointaines

    Ami, c’est en automne que tu m’as quitté C’est ici, parmi les feuilles, que je t’ai perdu

    Ami, tu me manques, quand reviendras-tu ?

    IV

    Combien de fois devrai-je venir dans ce cimetière Accompagner à pas lents un proche ou un ami Supporter la litanie convenue des prières Serrez les mains, baiser les joues, les yeux rougis

    Combien de fois devrai-je jeter un peu de terre Et une seule fleur coupée aux pétales d’acajou Sur la boîte hexagonale de bois clair Posée par les cordes au fond du trou

    Combien de fois avant de venir dans ce cimetière Porté par des bras étrangers, sans l’avoir voulu Sans entendre les mots murmurés sans prières

    Sans sentir la poudre de terre me tomber dessus Et la douce chute des quelques fleurs coupées Jetées par des vivants venus m’accompagner

     

    Paul Obraska

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 2 Novembre 2015 à 11:27

    J'ai beaucoup aimé ce très beau texte à la mémoire de nos morts.

    Il faut de toutes façons un jour, partir sous terre. Si le cimetière est joli, et que nous sommes accompagnés là-bas, c'est bien c'est beau! Les prières des prêtres aident à passer de l'autre côté (à mon avis), car l'ai assisté à deux enterrements sans prêtres, c'était horrible, mon époux et moi sommes revenus dévastés... Là c'est juste un peu de terre sur le corps décomposé! Et c'est d'un triste!

    2
    Lundi 2 Novembre 2015 à 11:50

    Il est évident qu'une cérémonie religieuse donne du faste à un enterrement mais ne le rend pas plus gai.

    3
    Jeudi 5 Novembre 2015 à 17:22

    Très beau texte...les cimetières vont nous devenir de plus en plus familiers, c'est un accessoire indispensable de l'âge...il sont là pour nous faire accepter en la banalisant un peu cette ignominie atroce qu'est la mort.

    Amitiés.

      • Jeudi 5 Novembre 2015 à 18:15

        Un décor qui devient familier. Il arrive à un âge où l'on a plus d'amis morts que de vivants.

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    4
    Jeudi 5 Novembre 2015 à 20:54

    Je découvre avec plaisir un blog bien intéressant!cool

    Ce texte est très beau, et je ne connaissais pas cet auteur.

    @ bientôt

      • Jeudi 5 Novembre 2015 à 20:55

        PS : je viens de réaliser que l'auteur est l'auteur du blog, bravo en tout cas!

    5
    Jeudi 5 Novembre 2015 à 23:13

    Voilà une appréciation réconfortante car sa sincérité ne parait pas discutable.

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