• Chaque matin, sur France Inter, nous avons droit à un interlude où une personne vient dire que, jusqu’à maintenant, elle ne s’intéressait pas au cancer, mais que l’on vient de lui en découvrir un (variante : ou que son père en a un) et qu’il est devenu dorénavant son cancer, la solution adéquate étant de contacter « Cancer-info ».

    L’intérêt de cette annonce matinale pour bien commencer la journée m’échappe.

    Si vous n’avez jamais eu un cancer, cette annonce vous injecte aux aurores une dose d’angoisse et si vous en avez déjà eu un dont vous vous êtes sorti, c’est une injection de rappel qui va vous imprégner  une partie de la journée.

    Le « son » cancer devient une appropriation comme s’il s’agissait d’un avantage que l’on vient d’acquérir. En outre, parler du cancer en général n’a aucun sens. Si le processus biologique de base est commun à tous les cancers, l’évolution et les possibilités thérapeutiques varient grandement d’un cancer à l’autre. Il n’y a pas un cancer mais des cancers.

    J’ignore ce que « Cancer-info » peut délivrer comme message, mais si le cancer de la personne a déjà été diagnostiqué, je suppose qu’une équipe médico-chirurgicale est déjà passée par là et que les informations nécessaires concernant ce cancer précis ont déjà été délivrées.

    Alors je ne vois toujours pas l’intérêt d’annoncer sur les ondes que "le" cancer vous menace et je ne vois pas en quoi s’adresser à « Cancer-info » contribuera à la guérison du patient déjà pris en charge ailleurs.

    J’ajoute, qu’à mon humble avis, la tumeur cancéreuse est totalement indifférente au degré d’information de son porteur.


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  • Grain de sel sur l'enseignementLes ministres successifs de l’Education Nationale se sentent obligés - les résultats n’étant guère à la hauteur des sommes englouties - de modifier quelque chose pendant leur bref séjour à ce poste : journées, horaires, programmes, façon d’enseigner, etc… Les enseignants doivent bien s’ancrer pour ne pas être emportés par les vents successifs et de directions contraires. En 1940, on disait que pour les messagers en moto de l’armée française, celui qui conduisait était porteur de l’ordre et son passager sur le siège arrière du contre-ordre.

     

    Toutefois, un bon ministre ne doit pas faire trop de vagues pour ne pas être emporté par un raz de marée protestataire venu des syndicats, des parents d’élèves ou des élèves eux-mêmes. Par contre il y en a peu qui ont résisté à l’influence de cuistres pédants (pléonasme) qui, pour des raisons mystérieuses et parfois idéologiques, se sont efforcés de remplacer les méthodes d’enseignement simples, aux termes clairs, qui leur ont permis, à eux, de réussir, par des méthodes délirantes, une phraséologie opaque substituant, par exemple, à la bonne vieille triade : sujet – verbe - complément, des dénominations absconses (« situation d’énonciation », « adjuvant », « adjuvé », « schéma actuantiel ou narratif »…) qui vont traîner des années dans les manuels, de quoi dégoûter définitivement les élèves de la littérature.

    L’université n’échappe pas aux élucubrations, comme celle du changement de toutes les dénominations anatomiques, changement dont l’intérêt est nul, sinon celui de compliquer la vie des étudiants.

    Les médiocres pensent toujours faire une découverte en changeant le nom des choses.  

     

    Luc Chatel ne manque pas à la règle générale : donner l’impression de réformer mais sans trop bouger. Il veut que l’on apprenne aux élèves les calculs de la vie courante, je pensais que cette enseignement élémentaire allait de soi, car (horreur !) on peut perdre sa calculette, cependant il est possible que cela ne soit pas le cas car, il y a maintenant longtemps, j’ai appris à ma fille les merveilles de la règle de trois.

    Il veut que les enfants s’intéressent à la science. Je trouve que c’est une bonne chose. La science est omniprésente et l’on ne dispose pas assez de scientifiques en France, les études étant longues, difficiles et les rémunérations plutôt courtes. Mais il propose "qu'il y ait un seul enseignant pour les sciences physiques, la chimie, les SVT et la technologie". C’est peut-être un peu difficile pour les enseignants de bien connaître toutes ces matières, mais c’est une excellente occasion d’en réduire le nombre et de faire baisser le niveau de l’enseignement.

    Peut-être faudrait-il ne pas changer les programmes à tout bout de champ, laisser les enseignants enseigner comme bon leur semble et ne les juger que sur leurs résultats.

     

    Si apprendre aux enfants à se dispenser de la calculette va de soi, la place royale pris par les mathématiques dans l’enseignement me semble excessive puisque cette matière est la marque des classes « d’élite ». Si les mathématiques  sont indispensables pour former des ingénieurs ou des physiciens, beaucoup de sciences ne les utilisent pas, en dehors des calculs statistiques qui n’ont rien à voir avec des mathématiques de haut niveau. Sélectionner, par exemple, les futurs médecins sur leur don pour les mathématiques est un non-sens, car ils ne les utiliseront jamais dans leur pratique quotidienne, il serait préférable de les remplacer par l’étude de la philosophie et… de l’anglais médical.

     

    Illustration : Edouard Vuillard "Deux écoliers, jardin public"

     

     


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  • Louis-Ferdinand Céline est mort dans son lit il y a 50 ans. Médecin médiocre, écrivain talentueux, psychopathe antisémite, appelant au meurtre des Juifs dans ses pamphlets, un peu lâche aussi, s’enfuyant en Allemagne puis au Danemark à la fin de la Deuxième guerre mondiale pour ne pas subir le sort de Robert Brasillach, fusillé en 1945.

    Ce personnage, dont les écrits antisémites, s’ils sont lus (ne serait-ce que des extraits), font prendre le risque de vomir son dernier repas, a été inscrit  dans l’officiel « Recueil des célébrations nationales » comme un de « ceux dont la vie, l’œuvre, la conduite morale, les valeurs qu’ils symbolisent sont, aujourd’hui, reconnues comme remarquables» (préface de Alain Corbin)[1].

    Bien sûr, cette inscription a soulevé une polémique, notamment de la part de Serge Klarsfeld, celui-ci soulignant que les orphelins de ceux dont Céline justifiait avec tant de haine et de jubilation l’assassinat, sont encore vivants ayant échappés au massacre, ce qui a conduit à son retrait de la liste de célébrations nationales.

    Si Céline est un écrivain qui a marqué le XXe siècle, on peut difficilement dire qu’il a été remarquable par sa conduite morale et les valeurs qu’il symbolisait.

    Chacun aura son opinion sur la séparation de l’œuvre et de son créateur (65% environ des votes sollicités par le Figaro seraient pour une célébration de l’anniversaire du cinquantenaire de la mort de Céline).

    On peut aussi se poser la question de la pertinence de ce recueil des célébrations nationales établi par une équipe d’archivistes résumant en quelque sorte une histoire officielle, entériné par un Haut Comité, dans le but est de « pacifier les mémoires ». Cette brochure serait pour ses promoteurs qu’un simple pense-bête à l'attention des associations et autres institutions. La France aime marcher à reculons, l’œil fixé sur le passé, au besoin en l’arrangeant.

    L’histoire est ouverte à tout le monde et chacun est libre de célébrer qui il veut, on peut donc se demander quelle est l’utilité de faire un choix officiel, qui, comme on le voit, est loin de pacifier les esprits.



    [1] « Dans les pages consacrées à Céline, Céline est prétendument présenté comme se tenant «à l’écart de la collaboration officielle» alors qu’il écrit dans «Au Pilori» et qu’il publie pendant l’Occupation de violents écrits antijuifs: en 1941, «Les Beaux Draps», et la réédition de «Bagatelles pour un Massacre», en 1942, la réédition de «l’Ecole des Cadavres». » (Serge Klarsfeld)


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  • IMAGE_222.jpgDans un îlot européen qui flotte encore sur la misère du monde, où les armes restent encore muettes, où l’on ne fabrique plus grand chose pour le quotidien, car on a appris aux autres à fabriquer ce qu’on leur achète, où l’on invente ailleurs pour vite remplacer ce qui s’est vendu la veille et où vivre c’est d’abord consommer, dans cet îlot où l’écume de la misère affleure les trottoirs, un mot magique ouvre les cavernes d’Ali Baba : soldes.

     

    Dès qu’elles peuvent se libérer, les foules attendent l’ouverture des magasins, se précipitent et s’agglutinent dans les cavernes colorées, les femmes, plus que les hommes, errent entre les rayons inondés de marchandises et leur regard vigilant recherche de loin une nippe attractive et une fois repérée, elles se précipitent dessus avant que d’autres la distinguent, l’œil agressif si une concurrente ose mettre la main dessus.

    Et les petits bataillons de charmantes Chinoises qui, tout en pépiant, viennent se procurer sous le ciel de Paris ce qui se fabrique chez elles.

     

    Puis elles s’en vont heureuses de leur trouvailles, achetées parce que qu’elles ne pouvaient se le permettre auparavant ou simplement pour acheter parce que ce sont des soldes et que l’on ne doit pas rater cette occasion.

     

    Elles montreront fièrement les acquisitions à leur entourage, puis elles les rangeront soigneusement pliées dans leurs armoires où elles seront peut-être abandonnées.

     

    Mot magique


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  • De nombreuses associations ont porté plainte, pour diffamation et provocation à la haine raciale, contre le chroniqueur Eric Zemmour, celui-ci ayant déclaré dans les médias que le « contrôle au faciès » par les policiers était justifié car les plupart des délinquants et des trafiquants étaient noirs ou d’origine arabe.

    A ce propos, je me suis posé les questions suivantes :

     

    Cette déclaration repose-t-elle sur des faits exacts ?

    Oui. Cette catégorie de la population fréquente proportionnellement bien plus les prétoires et les prisons que le reste de la population.

     

    Cette déclaration va-t-elle à l’encontre de la loi française ?

    Oui. Puisqu’il est interdit de distinguer une catégorie de Français en fonction de l’origine ethnique, de la couleur de la peau ou de l’appartenance religieuse.

     

    Cette déclaration est-elle dangereuse ?

    Oui. Car la grande majorité des Français noirs ou d’origine arabe ne sont ni délinquants ni trafiquants et risquent de subir un ostracisme injuste en étant assimilés à une minorité peu recommandable.

     

    Cette déclaration est-elle utile ?

    Non. Car ce constat est connu de tous (bien que les statistiques ethniques soient interdites en France) et ne peut conduire à aucune mesure officielle efficace pour réduire la délinquance. Les « contrôles au faciès » continueront, ils sont humainement condamnables et conduisent à perturber la vie de nombreux innocents, mais ils sont plus efficaces que s’ils n’étaient pas faits selon ce critère.

     

    En conclusion : toute vérité n’est pas bonne à dire, surtout lorsqu’il est sans utilité de la proclamer.

    Reste qu’à trop criminaliser la parole, le risque est de dissocier le discours et la réalité dans une société bien-pensante mais paralysée.


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  • bosch-l-enfer.jpgLe Point du 6 janvier 2011 rapporte qu’à Cadix, un professeur d’histoire-géographie a été poursuivi par les parents d’un élève musulman qui s’était dit « offensé », car ce professeur avait osé enseigner les secrets de fabrication du jambon ibérique. Le motif de la plainte était : « mauvais traitements psychologiques sur fond de xénophobie » et cours insultant les « croyances islamiques ». La Fédération des musulmans d’Espagne est cependant intervenue en soulignant que s’il est interdit de manger du jambon, il n’est pas interdit d’en parler.

     

    Si le christianisme a souvent associé le Diable et le porc, la consommation de ce dernier (le premier doit être particulièrement indigeste) est très appréciée en Asie comme en Occident, au point de polluer les cours d’eau par son élevage intensif.

    Jules Renard disait : « Quel admirable animal que le cochon.  Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin ». Dans le cochon tout est bon, y compris ses valves cardiaques qui peuvent remplacer celles de l’homme, il est vrai que sur le plan anatomo-physiologique le porc et l’homme sont assez proches et certains pensent même qu’un l’un sommeille dans l’autre.

     

    L’interdiction de sa consommation en tant qu’animal impur vient du Judaïsme. Les juifs croyants sont ainsi privés de viande de porc (entre autres) depuis des siècles, car si cet animal a bien le sabot fourchu et fendu, le veinard ne rumine pas, et il échappe de ce fait à la casserole.

    Un millier d’années après, l’interdiction formulée par l’Ancien Testament a été repris par l’Islam.

    Pourquoi les hébreux se sont-ils privés de porc, et pourquoi les musulmans ont-ils suivi ? Les hypothèses sont nombreuses, ce qui veut dire que l’on n’en sait rien.

     

    Illustration : Hieronymus Bosch : "L'Enfer" (petit fragment, coin inférieur droit)


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  • Le téléphone portable, organe surnuméraire acquis par mutation technologique, ne quitte plus l’homo sapiens sapiens : à l’oreille, dans le sac, dans la poche et surtout dans la main pour les jeunes, tapotant des SMS ou attendant plein d’espoir un SMS venu du septième ciel ou un coup de téléphone pour pouvoir bavarder sans fin, quel que soit le lieu, quelle que soit l’activité : traversée entre les voitures, ou juché sur un vélo tenu d’une main, en révélant à l’univers la teneur insipide de leurs conversations.

    Dans le métro, les passagers, surtout les jeunes filles, serrent amoureusement cet appendice communicant dans leur dextre au risque de se le faire piquer par quelque amateur encagoulé.

    Hier, au restaurant, n’étant pas accompagné, j’étais le seul à lire un magazine, la plupart, entre deux coups de fourchette, téléphonaient, lisaient ou tapotaient des SMS sur leur organe surnuméraire, avec le pouce et avec une habileté faisant mon admiration. On voit bien là que l’opposition du pouce avec le reste de la main est un des facteurs de progression de l’humanité.

    Il est probable que les moyens modernes de communication conduisent à une amorce de toxicomanie. Une étude a d’ailleurs été faite à l’université du Maryland. Des scientifiques ont demandé à des volontaires de passer vingt-quatre heures sans mail, sans SMS, sans Facebook et sans Twitter (horrible !), mais avec la possibilité de lire et d’utiliser un téléphone fixe (tout de même ! On n’est pas des sauvages !), et ils ont noté que les cobayes commençaient à développer les symptômes que l’on observe lors du sevrage tabagique. Beaucoup se sentaient isolés et angoissés, ne tenant plus en place, d’autres avaient l’impression d’être mis au régime ou d’être des drogués en manque et à côté des symptômes psychologiques existeraient même des symptômes physiques.

    Je vous quitte pour vérifier ma connexion.


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  • Lechat-supercouillon.jpgChacun connait la formule Thatchéro-Reaganienne : « le problème, c’est l’état ». Cette formule s’applique sans conteste aux états totalitaires, mais elle concernait des états démocratiques où elle a poussé à sacrifier les services publics au service de tous, pour introduire des entreprises privées au bénéfice de quelques uns, au nom de la concurrence dont on attend toujours les retombées positives promises.

    La conception d’un libéral vis-à-vis de l’état est : si je perds tu perds et si je gagne tu perds aussi. En voici quelques exemples :

     

    Lorsque les banques ont perdu leur mise au casino de la finance, elles se sont tournées vers les états en pleurant : « allo, maman bobo » pour qu’ils assurent leur fiabilité en aggravant pour beaucoup leur propre dette, dette dont elles pourront ensuite tirer éventuellement des bénéfices, tout en maintenant la rémunération de leurs dirigeants, partisans d’un libéralisme bien tempéré par les contribuables que l’on récompense en maintenant des frais bancaires élevés.

     

    Serge Dassault est un grand libéral, qui se dit gêné par la puissance publique, mais comme l’étranger n’en veut pas, il ne vend ses « Rafale » qu’à l’état français. Son libéralisme vole haut propulsé par l’argent des contribuables.

     

    Servier a horreur du socialisme, se méfie de ses employés qu’il espionne, n’a de cesse de dénoncer les abus étatiques (il aurait même fait paraître deux ouvrages pour les dénoncer), mais son laboratoire aurait gagné environ 1 milliard d’euros en une trentaine d’années, en vendant le Mediator, produit inefficace, sinon pour détériorer les valves cardiaques, avec la complicité de l’état et est sans doute satisfait d’avoir été décoré par son ancien employé, aujourd’hui Président de la République, de la grand-croix de la Légion d’honneur. L’ultralibéral Servier a horreur de l’état, mais trouve normal d’avoir vécu pendant tant d’années à ses crochets. Et on ne dit pas merci pour ce milliard payé par l’Assurance Maladie et les mutuelles ? Un libéralisme bien tempéré par l’argent des contribuables dont certains ont du se faire opérer du cœur, toujours aux frais de la sécurité sociale.


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  • Dix otto les nocturnes 2Entre le réveillon de Noël et celui du jour de l’an, s’installe une semaine molle où domine l’introspection intestinale déclenchée par la première fête obligée et la perspective de la seconde.

    Comment ne pas être séduit par Noël, occasion annuelle de réunir les familles dont les membres se tenaient prudemment éloignés, occasion de paraître sous son meilleur jour, en sachant que chacun regardera l’autre pour juger de l’impact sur chacun de l’année écoulée. Et  il y a les cadeaux. Vouloir faire plaisir à l’autre est un beau mouvement. Des cadeaux qui, même décevants, sont accueillis avec une émotion feinte, mais que l’on a toujours l’opportunité de vendre sur internet.

    Comment ne pas être enthousiasmé par la joie démonstrative et les embrassades contraintes à l’aube de la nouvelle année, gaîté parfois renforcée – avec un peu de chance - par les cotillons, le port avantageux de chapeaux pointus, la folie des farandoles agrémentées d’attachants serpentins et d’une pluie multicolore de confettis que l’on ramène religieusement chez soi dans les cheveux et le pli de ses habits.

    Comment ne pas se réjouir d’être encore là, même si vieillir n’est pas réjouissant.

    Je suis certain que ce billet mou ne ternira en aucune façon le souvenir du joyeux Noël déjà passé et de la promesse du jour de l’an à venir.

     

    Illustration : Otto Dix « Les noctambules »


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  • Ce billet est une mise à jour, dictée par l’expérience acquise, d’un article mis en ligne en juin 2008 (« Envoi de fleurs »).

     

    vermeer-dame-ecrivant-une-lettre.jpgOn a toujours besoin des autres pour exister. Enfin de moins en moins, puisque les autres s’en vont de plus en plus.

    Dans le monde des blogs, les autres réapparaissent et ils ont l’avantage (ou le désavantage ?) d’être désincarnés, lointains et plus ou moins anonymes. Ainsi se nouent ce que des blogueurs appellent des « amitiés virtuelles ». Il serait plus juste de parler de relations ou de correspondances car utiliser ici le beau mot d’amitié, c’est le galvauder. Il n’y a ni vision vivante, ni histoire commune, ni aide donnée ou reçue et les relations virtuelles peuvent disparaître aussi vite qu’elles apparaissent (que de visites flatteuses sans lendemain !), ce qui n’est pas le cas des relations amicales. L’amitié comme l’amour est toujours risquée, pas la relation entre blogueurs. Bien sûr, les blogueurs jouent le jeu sans être dupes, même si on est parfois surpris par des élans auxquels on peut être sensible.

     

    La question est de savoir si aller sur le blog d’autrui c’est y rechercher un contenu de qualité ou si en laissant  un commentaire en général flatteur, c’est espérer la réciproque. Ainsi peut s’installer, essentiellement pour les blogs à visée littéraire, un envoi de fleurs mutuel transformant la plateforme en une entreprise assimilable à « Interflora » et des textes médiocres en œuvres de génie. Mais le besoin et l’effort d’écrire – communs à tous les blogueurs - doivent toujours être respectés, quel qu’en soit le résultat, quitte à partir sur la pointe des pieds et en silence, un jugement personnel n’étant pas un critère de valeur.

     

    Je dois avouer qu’il m’arrive parfois de laisser un commentaire même lorsque je n’ai rien à dire, en espérant que le commenté(e) viendra me rendre la politesse en visitant mon blog (car celui qui écrit, même pour lui, espère bien un jour être lu). C’est le dernier billet mis en ligne qui a l’honneur d’être lu, les précédents étant navrés d’être le plus souvent méprisés. Je suis parfois surpris par la discordance entre la qualité d’un billet et le nombre de commentaires à son propos. Ce sont les plus courts et dont l’intérêt parait a priori limité qui en recueillent souvent le plus, venant ainsi apporter la preuve que la nature a horreur du vide.

     

    Bien que je visite presque toujours les mêmes blogs dont les auteurs me paraissent d’un haut niveau et bien que leur nombre est restreint (une multitude de blogs remarquables m’échappe en raison de ma paresse exploratoire), pour des raisons diverses, je n’ai pas établi de liens, si bien que je les visite en retour que lorsque leurs auteurs ont laissé un commentaire sur le mien. Ce renvoi mécanique d’ascenseur n’est pas la meilleure façon d’augmenter son audience, car cette manœuvre aboutit à tourner dans un cercle restreint, mais l’essentiel n’est-il pas qu’il soit apprécié ?

     

    Si les commentaires flatteurs ou approbateurs sur les blogs sont les plus nombreux, de vrais débats existent parfois, en général courtois et enrichissants. Ailleurs, les insultes ne sont pas exclues, il faut bien que les refoulés, cousins des délateurs anonymes, se défoulent et la plateforme se transforme alors en thérapeutique de libération émotionnelle.

    Il est certain que le blog peut avoir une vocation de psychothérapie. Certains blogs se livrent d'ailleurs à une concurrence victimaire. S’épancher devant un public sans visage est moins cher qu’une psychanalyse, le blogueur à l’écoute est aussi silencieux qu’un thérapeute, mais son commentaire a plus de compassion.

    D’autres servent plus ou moins de journal intime dont la séduction peut venir de l’autodérision et de leur humour.

     

    A côté des blogs qui exposent une matière précise (la cuisine et le tricot semblent avoir beaucoup de succès), de nombreux sites publient des billets qui, renforcés par leurs commentaires, servent en fait d’exutoires, tantôt sous la forme d’analyses critiques ou de « coups de gueule » sur le monde qui nous entoure, avec un regard moins convenu que celui des journaux, tantôt portés par un souffle révolutionnaire ou anarchique, libération vengeresse d’autant plus explosive qu’elle ne débouche sur aucun acte et sur aucun risque et que l’auteur, prudent, garde le plus souvent l’anonymat.

     

    Illustration : Jan Vermeer « Dame écrivant une lettre »


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