• Abus de langage

    Ces dernières années les penseurs ont la manie du « post ». Post-quelque chose : post-moderne, post-vérité. Et le créateur du mot ainsi composé prétend faire une découverte, et les post-utilisateurs de manier un nouveau concept.

    Il me semble qu’après une situation ou une conception observée dans le passé, ce qui survient après, modifié ou pas, appartient au présent, et on ne voit pas ce que ce « post » vient faire dans la description du présent qui est toujours le résultat d’une évolution ou d’une rupture par rapport au passé. On pourrait dire ainsi que le monothéisme est un post-polythéisme et le médecin un post-guérisseur.

    Quant à l’expression « post-moderne », elle devrait logiquement exprimer l’avenir, mais elle exprime dans le présent une réaction par rapport au passé (le postmodernisme, était un ancien mouvement artistique en réaction avec ce qui précédait).

    Mais le plus étonnant est d’utiliser le « post » pour exprimer le contraire. Ce qui est le cas pour post-vérité, car cette trouvaille veut dire en réalité l’absence de vérité confirmée, un fait non vérifié, mais passant pour une vérité grâce à la multitude de ceux qui peuvent aujourd’hui diffuser des faits non établis. Il s’agit tout simplement de rumeur, de calomnie, de désinformation ou de mensonge. Mais il paraît tellement plus savant de dire post-chose.

    D’une façon générale, en forgeant une nouvelle expression, son auteur suggère que la nouveauté de son concept est telle qu’il n’a pas trouvé un mot dans toute la langue pour l’exprimer, et qu’il a donc été obligé de recourir à un néologisme pour le faire.

    L’abus de langage peut aussi être vu comme un excès de mots provoquant une ivresse à la fois du producteur et du consommateur. Ivresse euphorique pour le premier et triste pour le second.

    Quand j’ose me frotter à certains textes de sociologie ou de philosophie, je suis toujours surpris par le langage souvent utilisé qui semble exprimer la volonté de ne pas pas être compris ou seulement compris par ceux qui possèdent les codes de déchiffrement. Je me trouve englouti dans une avalanche de mots, dont on se demande si elle ne recouvre pas du vide ou une pensée squelettique et répétitive qui pourrait aisément se résumer en un texte court utilisant un vocabulaire normal.

    L’obscurité et la logorrhée sont-elles des gages de profondeur ?

    Je ne le pense pas. Les quelques textes écrits par des penseurs gréco-romains que j’ai pu lire m’ont toujours paru clairs. Et plus près de nous, j’ai toujours admiré les textes de Nietzsche qui sont d’une parfaite clarté, même si sa pensée est parfois difficile à suivre en raison même de sa richesse, mais chaque phrase a une signification aisément accessible.

    On pourrait me rétorquer que la médecine se sert aussi d’un langage hermétique pour ceux qui ne font pas partie du corps médical. C’est vrai. Mais là nous ne sommes plus dans le discours ou dans l’interprétation, mais dans un vocabulaire technique et souvent scientifique. Les articles médicaux, lorsqu’ils ne sont pas de vulgarisation, sont destinés aux médecins, mais ceux-ci, par contre, ont le devoir de s’exprimer dans un langage courant et compréhensible face à un patient.

    La sociologie et la philosophie ne sont-elles destinées qu’aux sociologues ou aux philosophes ? Ce serait dommage.

    « Funèbre mascaradeLa petitesse d'un grand homme »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Décembre 2016 à 12:19

    De tous temps, le jargon est l'outil de ceux qui veulent que l'on sache qu'ils appartiennent au cercle fermé des spécialistes et au cercle encore plus fermé de ceux qui sont intelligents. C'est souvent l'outil de ceux qui ne connaissant pas les mots qu'ils devraient employer se croient autorisés, comme vous le dites, à en inventer de nouveaux.

    Puisque vous traquez les néologismes, j'en livre un à votre verve: revisité.

      • Jeudi 8 Décembre 2016 à 13:57

        Et cette très courante expression  dans le monde de l'entreprise : "Je reviens vers vous".

    2
    Jeudi 8 Décembre 2016 à 12:48

    En réponse au problème que vous soulevez, je dirais, avec Lacan, que "la parole, structurée comme un langage, n’est pas un signe, mais un symptôme névrotique avec ses deux fonctions essentielles, le signifiant dans son rapport avec la signification et le jeu intersubjectif à travers lequel la vérité entre dans le réel."

     

     

      • Jeudi 8 Décembre 2016 à 13:50

        Et le langage dans la connerie.

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    3
    Jeudi 8 Décembre 2016 à 17:12

    "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et le mots pour le dire arrivent aisément" !

    Mais c'était au XVII ème siècle... donc complètement ringard !

      • Jeudi 8 Décembre 2016 à 17:28

        C'est très ante-moderne.

    4
    Souris donc
    Jeudi 8 Décembre 2016 à 17:57

    J'ai fait un grossier contresens sur la postmodernité, je croyais que ça se rattachait à la théorie de la fin de l'histoire après l'implosion de l'URSS, selon Francis Fukuyama. Comme le totalitarisme islamique s'est invité, je n'ai rien lu sur la question.

    Dans le langage courant, je croyais que postmoderne était une facilité de langage dispensant de chercher un adjectif plus précis. Au lieu de "fieffé crétin", dire "crétin postmoderne".

    Dans mes postmodernités  préférées, quand Taubira a été prise en flagrant délit de mensonge à propos des écoutes téléphoniques de Sarkozy, un socialiste a  "relevé un malentendu chez son interlocutrice". Moins péjoratif que "mentir".

      • Jeudi 8 Décembre 2016 à 18:24

        A mon humble avis le post-chose ne veut rien dire, c'est une béquille pour intellectuel fatigué. Même le courant artistique postmoderne  était une définition négative par incapacité à se définir soi-même.

    5
    Jeudi 8 Décembre 2016 à 19:15

    Comme disait Boileau "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément". Voilà pourquoi la philo et la socio s'énoncent obscurément.

    Amitiés.

      • Jeudi 8 Décembre 2016 à 19:27

        CQFD !

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