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408. Chronique de la mort annoncée ou pas
Les médecins et notamment les médecins hospitaliers sont régulièrement confrontés à la mort. Bien sûr, d’autres professions le sont aussi : tous les autres soignants, les policiers, les pompiers, les sauveteurs et les employés des pompes funèbres qui en vivent. L’impact de la mort d’un patient pour un médecin est probablement plus forte car s’y ajoute sa responsabilité.
Un médecin se sent toujours coupable de la mort de son patient même s’il n’a commis aucune faute professionnelle car le malade a mis sa confiance en lui, et il a inconsciemment le sentiment de l’avoir trahi, ne serait-ce que par son impuissance à le maintenir en vie.
J’ai vu mourir moins de patients que les infirmières, mais chaque mort a laissé une trace et elle reste parfois indélébile. Je pense toujours à la mort subite d’une jeune fille survenue en montant des escaliers dans son lycée, je n’avais commis aucune faute, mais j’ai mal dormi pendant des nuits. Là où on se sent le plus responsable est lorsque l’on prend une décision lourde comme celle d’une intervention chirurgicale que l’on pensait salvatrice, et qui se révèle mortelle. Il est difficile de l’annoncer à la famille, et on se remet en question. Même si l’on respecte les recommandations émises par plus savants que soi, on se remet toujours en question quand on perd un malade. Les médecins n’en parlent pas entre eux : il faut conserver la posture et continuer sans céder à l’émotion.
J’ai écrit ces quelques notes car je suis tombé sur une enquête inhabituelle qui vise à estimer la souffrance des cardiologues après le décès d’un de leurs patients. Trois sociétés savantes concernant les maladies du coeur et des vaisseaux sont à l’origine de cette enquête où ont été interrogés 925 médecins, dont 45% de femmes et 75% de cardiologues, 43% exerçant dans un CHU. L’âge moyen étant de 45 ans et la moyenne de la durée hebdomadaire de travail de 55 heures. Ce groupe dit avoir été confronté à dix décès par an en moyenne et de ne jamais s’y être habitué : 83% d’entre eux en ont ressenti un impact émotionnel important.
La solitude du médecin face à la mort d’un patient, c’est l’un des principaux enseignements de cette enquête : « Le premier réflexe de la majorité des soignants, c’est d’adopter une position de neutralité et de masquer ses émotions. Il y a cette injonction à rester maître de soi en toutes circonstances, sous peine de ne pas être professionnel », « 45 % présentent des symptômes importants de burn-out. 37,8 % ont des niveaux d’anxiété et 31,1 % des niveaux de dépression qui nécessiteraient une prise en charge psychologique. 33 % sont en état de stress post-traumatique ». « Dans le groupe le plus impacté sur le plan émotionnel (201 soignants), 17 % reconnaissent avoir pris des « substances toxiques » pour surmonter le décès d’un patient, 10 % ont eu besoin d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs. Seuls 12 % ont consulté un psychologue ou un psychiatre ». Ajoutons qu’une enquête en France portant sur les causes de décès des médecins actifs a montré une incidence de suicide de 14%, contre 5,4% dans la population générale de la même tranche d’âge.
Illustration : Cézanne : "le jeune homme à la tête de mort"
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Commentaires
2Souris doncMardi 1er Février 2022 à 17:20Médecin : un métier dur et gratifiant. Plutôt vétérinaire !
J'ai préféré exercer la traque aux fraudes à la subvention.
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Mardi 1er Février 2022 à 17:44
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Très vaguement hors-sujet par rapport à votre article mais, d'associations d'idées en associations d'idées :
Où l'on retrouve ce bon docteur Laurent Alexandre :
"La mort de la mort"
"La révolution de la vie, ou comment la biotechnologie va bouleverser l’humanité [...] Le face-à-face entre les bioconservateurs et les bioprogressistes va aller en s’amplifiant. De l’homme réparé à l’homme augmenté, il n’y a qu’un pas qui sera inévitablement franchi."
(présentation, critiques et extraits)
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Mardi 1er Février 2022 à 21:14
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J'avais entendu parler des suicides des policiers, mais jamais de ceux des médecins.
Mais ce doit être en effet, très émotionnant même si comme vous dites, il n'y a pas faute professionnelle.
Et cette enquête montre que cela concerne la grande majorité des médecins, mais on n'en parle que rarement.