• 29 bis. Dieu et les maladies

    Devant la progression de la maladie au virus Ebola en Afrique de l'Ouest, la présidence libérienne a décrété "Trois jours de jeûne et de prière de mercredi à vendredi de 6h à 18 h pour implorer la protection divine contre l'épidémie"

    Devant l'impuissance humaine, la démarche habituelle des croyants est de se tourner vers Dieu pour appeler son intervention. Mais la question qui se pose est : pourquoi un Dieu tout puissant permet-il que des maladies viennent décimer ses créatures ? Les religions interprètent les épidémies soit comme une épreuve, soit comme une punition. Cette idée de maladie-punition était omniprésente dans le passé, notamment dans la chrétienté où l'Homme est né coupable. Mais cette conception reste encore vivace de nos jours.  

     Un Tireur d'élite

    Dans l'Iliade, pour punir Agamemnon d'avoir enlevé la fille d'un prêtre et refusé de la rendre, les flèches d'Apollon frappent le camp grec et répandent une épidémie.

    Saint Grégoire parle de flèches tombant sur Rome pendant la première pandémie de peste du VIe siècle

    La peste du XIVe siècle tua près de la moitié de la population de l'Europe. Touchant tous les milieux sans distinction de rang ou de fortune, elle a semblé longtemps être l'expression du courroux divin. Des flèches venant du ciel et touchant l'homme, symbolisaient la maladie envoyée comme punition divine. Au XVème, des tableaux représentant les hommes frappés par cette maladie montrent des flèches atteignant l'aine ou l'aisselle, là où apparaissent les bubons. Dieu lançant des traits fût par la suite remplacé par un intermédiaire plus anonyme : la Mort  troquant sa faux contre un arc et des flèches et entraînant les pestiférés dans une danse macabre. La maladie comme punition divine lui donnait un caractère cosmique expliquant l'impuissance des médecins face aux forces surnaturelles.

     Tous coupables

    Tous les moyens étaient recherchés pour amadouer le Ciel : prières, processions, pénitences et flagellations. Lors de la peste du XIVème, des centaines d'hommes et de femmes venant d'Aix-la-Chapelle exécutaient jusqu'à épuisement une danse de Saint Guy sur la place publique, et allaient de ville en ville : Cologne, Metz et Erfurt, entraînant les spectateurs dans leurs convulsions frénétiques. La Confrérie de la Croix arrivant de Hongrie, traversait l'Europe, les frères tête couverte et yeux baissés, portaient des costumes sombres avec une grande croix rouge sur la poitrine. Ils exécutaient en public, deux fois par jour, des flagellations avec des fouets à triples lanières terminées par des pointes de fer. Leur venue était annoncée par des sonneries de cloches. La compagnie continuait sa tournée de ville en ville à moins que la peste de la décime.  Ces démonstrations impressionnantes étaient toutes inefficaces. Les hommes d'Eglise s'efforçaient de déterminer le péché responsable. Il variait selon les pays. On incriminait l'impiété, l'opéra ou le théâtre ou les habits trop voyants ou les longs souliers pointus, attribuant à Dieu des préoccupations pour le moins frivoles.

    Curieusement dans la conception religieuse de la maladie, c'est toujours  Dieu qui punit pour le péché et le diable n'intervient que pour la maladie mentale. Satan offre plutôt la santé et la jeunesse contre l'âme. L'âme serait-elle pathogène ?


    "La procession des flagellants" de Goya

     Des malades au bûcher

    Pour se préserver de la lèpre pourtant peu contagieuse, les moyens ont été parfois radicaux. La crécelle permettait aux lépreux de signaler leur présence afin que l'on s'en écartât.  Les religions, prêtres et fidèles, considéraient également la lèpre comme une punition divine. Au XIVe siècle, les lépreux, accusés d'avoir empoisonné les puits, ont été exterminés. En 1321, restée dans les mémoires comme l'année de la crémation des lépreux, l'archevêque de Lyon en fit brûler un grand nombre.  Le roi Philippe V le long en profita pour confisquer leurs biens. Au XVIe siècle, alors que la lèpre devenait plus rare, certains se faisaient passer pour lépreux afin de ne pas travailler et ne pas payer d'impôts. Quelques établissements devinrent des lieux de vices et d'orgies transformant les bordes (cabanes de lépreux) en bordels[1].

    Des malades soumis aux châtiments corporels

    A la fin du XVe siècle apparaît brusquement la grande vérole lors de l'invasion de l'Italie par Charles VIII. Elle se répand à grande vitesse et ravage toute la planète, comme la pandémie de sida actuelle. On n'en connaît absolument pas l'origine,  chaque peuple en accusant un autre, mal français pour les Italiens, mal napolitain pour les Français, mal des Francs pour les Arabes, mal portugais pour les Chinois, mal chinois pour les Japonais et mal des Indiens d'Amérique pour beaucoup, sans la moindre preuve, uniquement parce que l'épidémie est contemporaine du voyage de Christophe Colomb.

     C'est l'Italien Jérôme Fracastor qui identifie la vérole, la baptise syphilis, affirme la contagion par voie sexuelle et conseille  le mercure qui restera le seul traitement jusqu'au XXe siècle.

    Les malades ont été longtemps dénoncés, isolés, stigmatisés, culpabilisés et parfois punis. A Bicêtre, ceux que l'on estimait coupables étaient flagellés. Dès 1496 les étrangers atteints devaient quitter Paris sous peine de pendaison, les syphilitiques devaient quitter Edimbourg sous peine d'être marqués au fer rouge, et sous Louis XIV les prostituées trouvées dans la ville de Versailles risquaient de perdre leurs oreilles.

    Avec la pénicilline la maladie semblait vaincue car un traitement précoce la guérit sans séquelle. Depuis 2000 la syphilis est de retour, favorisée par la multiplication des partenaires et l'abandon du préservatif.

    Régulation divine de la démographie

    La croyance dans l'intervention de l'Au-delà dans la maladie n'est pas l'apanage du Moyen-Age. La transmission du choléra se faisant par l'eau, les aliments souillés, et le contact manuel avec le porteur du vibrion cholérique de Koch, elle atteint de préférence les pauvres vivant nombreux dans des espaces étroits. Lors de l'épidémie de 1832 à Paris, certains dirent qu'il s'agissait d'une divine providence, permettant d'absorber l'excédent de population par rapport aux moyens d'existence.

    La maladie reste une punition

    De nos jours, lorsque l'avortement était clandestin, certains considéraient que la mort d'une avortée était une juste punition, et on n'a pas manqué d'affirmer que la pandémie du sida était une punition divine frappant les tenants de la libération sexuelle. Dans l'esprit de tous et même dans celui des médecins, ne pense-t-on pas implicitement que les maladies provoquées par l'alcool, le tabac, les drogues punissent ceux qui se sont rendus coupables d'avoir cédé à leurs penchants. Inversement, combien de malades ne comprennent pas qu'ils puissent l'être, ne s'étant livrés à aucun écart et commis aucune faute, ayant suivi la prévention ou le traitement à la lettre et ressentent la maladie comme une punition injuste, d'autant plus injuste que le voisin intempérant reste, lui, en bonne santé.


    [1] W. Hansen et J.Freney, Bulletin de la Sté Française de microbiologie, fév 2003

    « VigilanceSalut l’artiste ! »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Août 2014 à 16:02

    Bel exposé Doc. La maladie arrive sans prévenir et Dieu, (s'il existe et ce dont je doute fortement), n'y est pour rien.

    Les civilisations, qu'elles soient polythéistes ou monothéistes reçoivent le poids de la maladie et des épidémies comme une punition ... Pourquoi ? Mais tout simplement parce que le pouvoir exercé pas la religion reste toujours omniprésent, même à l'heure actuelle où sévit ce fameux virus Ebola.

    Bon après midi. ZAZA

     

    2
    Jeudi 7 Août 2014 à 16:27

    C'est la réponse des prêtres. Car si ce n'est pas une punition ou une épreuve, pourquoi Dieu le permet-il ?

    3
    Jeudi 7 Août 2014 à 17:07

    "Jeûne et prière". La prière pour demander pardon et le jeûne pour s'infliger une auto-punition qui remplacera le châtiment divin (si Dieu le veut).

    4
    Jeudi 7 Août 2014 à 17:17

    C'est en effet un bon équilibre dont devrait tenir compte le virus.

    5
    Jeudi 7 Août 2014 à 17:23

    Quand on voit le nombre de punitions divines qu'il subit, force est de constater que l'être humain n'a pas la rancune tenace !

    6
    Jeudi 7 Août 2014 à 17:49

    Il se sent peut-être très coupable. Comme le disait Pierre le Grand, je crois, "Si tu ne sais pourquoi tu bats ta femme, elle, elle le sait".

    7
    Jeudi 7 Août 2014 à 20:18

    Moi, je m'en fiche ! Je suis une femme... je n'ai pas d'âme yes !

    8
    Jeudi 7 Août 2014 à 20:41

    Même pas centriste ? sarcastic

    9
    mamyours
    Jeudi 7 Août 2014 à 22:29

    pour moi c'est la grande absurdite des religions !!

    bonne soiree

    10
    Jeudi 7 Août 2014 à 23:04

    Leur absurdité ne me gêne pas, c'est leur dangerosité qu'il faut craindre.

    11
    mamyours
    Jeudi 7 Août 2014 à 23:19

    pour moi ça va avec !!!

    re bonne soiree

    12
    Vendredi 8 Août 2014 à 10:46

    L'absurdité ne provoque pas la dangerosité, c'est la certitude de posséder la vérité qui la provoque.

    13
    Dimanche 10 Août 2014 à 09:35
    Djefbernier

    voilà un style d'article qui va rassurer tout le monde, sourcé, plein de liens et tout et tout, j'aime bien ce Guy Fawkes, http://fawkes-news.blogspot.com/2014/08/ebola-ou-comment-maintenir-le-controle.html

    14
    Dimanche 10 Août 2014 à 10:57

    Quand je rédige un article portant sur l'histoire de la médecine, mes sources sont des livres d'histoire de la médecine (dont je peux vous donner la liste si cela vous intéresse) et non internet (d'où l'absence de liens) qui ne me semble pas être la seule source du savoir, ni la meilleure, comme le prouve le billet dont vous m'avez indiqué le lien et qui tombe dans le travers "complotiste" si florissant sur le net.

    15
    Mercredi 13 Août 2014 à 06:01
    Djefbernier

    Je lis assez régulièrement vos billets et commentaires si fait que j'avais remarqué l'absence de liens et que votre bibliothèque doit être grande, à l'aune de votre expérience de la vie. Oui j'avais remarqué pour le complotisme ; j'ai tendance à penser qu'il n'y a pas de fumée sans feu, mais qu'il est désormais assez 'simple' de mettre le feu sans feu. Diantre qu'il serait doux de penser qu'un peu de censure règlera tous ces malheureux travers (info intox réinfo désinfo), internet est si grand. (oops). Difficile de ne pas imaginer qu'on peut instrumentaliser les peuples, gouverner, ou parler au nom d'un Dieu sans passer, au moins un peu, pour un comploteur, qu'est-ce qu'un lobbyiste ? Cela dit cela dit. J'ai lu un jour un gars qui a titré sur la "complotologie", j'en ai fait un mot clé chez moi, parce qu'il m'a fait un peu rigoler disant en substance que celui qui crie au complot ne fait que dévoiler une désir (frustré) de comploter.

    Au plaisir de vous lire tant que ça dure.

    16
    Mercredi 13 Août 2014 à 11:13

    Je suis bien d'accord avec votre commentaire et j'aime bien le "mettre le feu sans feu". Internet traîne le pire et le meilleur. C'est un espace de liberté dont beaucoup abusent pour déverser leur haine et leurs fantasmes. La censure cadre mal avec le web, si j'aimerais qu'elle s'exerce sur les appels au meurtre, laissons aux fantasmes la liberté de s'exprimer, à nous d'exercer notre esprit critique.

    Au plaisir de vous lire également.

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