• 280. Le retour de l’Arlésienne

    280. Le retour de l’ArlésienneLa ministre de la Santé vient de relancer aujourd'hui le « dossier médical personnel ou partagé » (DMP). Sur ce blog, j’avais déjà écrit deux articles sur ce sujet en 2009 et 2010. En les relisant huit ans après, je n’ai pas l’impression qu’ils sont devenus obsolètes. En théorie l’idée n’est pas mauvaise, mais en pratique elle a des inconvénients, et notamment celui de conduire le médecin à passer plus de temps devant son ordinateur à chercher un renseignement dans le DMP (qui risque à la longue d’être monstrueux) ou à y introduire des données qu’à écouter et à examiner son patient.

    DOSSIER PERSONNEL ? (13 mai 2009)

    Il fût un temps où chaque bon médecin tenait soigneusement à jour une fiche pour chacun de ses patients, souvent manuscrite, et dont il était le gardien. Ces fiches, le plus souvent informatisées, existent toujours (du moins, je l’espère), mais le progrès conduit à vouloir stocker ces données secrètes dans des lieux mystérieux afin qu’elles puissent être partagées. Le système permettant de faire fonctionner ce Dossier médical personnel (DMP, le P voulait dire à l'origine "partagé") parait complexe et onéreux, mais les autorités de tutelle espèrent en tirer des économies. Le Dossier pharmaceutique (qui a ses avantages) est déjà fonctionnel et le Dossier médical personnel, dont l'utilité n'est pas évidente, dans les limbes depuis longtemps, est prévu pour 2010. / Il est actuellement opérationnel pour une petite partie de la population française I

    Le 30 avril dernier aux USA, le site Internet du « Prescription Monitoring Program » de Virginie a été « piraté » et les hackers en ont extrait les données de 8 millions 257 378 patients ( 35 millions de prescriptions médicales, numéros de sécurité sociale, informations sur le permis de conduire) et effacé les originaux qu’ils ne restitueraient que contre une rançon de 10 millions de dollars, en menaçant l’organisme de contrôle des prescriptions, s’ils n’obtiennent pas satisfaction, de les vendre au plus offrant.

    Le progrès, ça va encore durer longtemps ?

    IL EST NE LE DIVIN DMP (16 décembre 2010)

    Le Dossier médical personnel (DMP) doit être lancé dans les prochains jours (selon l’Asip Santé, l’agence d’état qui pilote le projet) « Facultatif, ce dossier virtuel doit offrir aux patients volontaires un accès effectif à leurs données médicales, le DMP devant rapidement devenir consultable de chez soi par internet. Côté médecins, le DMP est censé permettre une meilleure coordination des soins et éviter les examens inutiles » (AFP). / Le dossier a été repris par la CNAM en 2016 /

    C’est Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, qui avait présenté ce projet en 2004 comme une des solutions majeures pour diminuer le déficit de l’assurance Maladie (l’estimation des économies avait été chiffrée à l’époque en milliards d’euros !..) tout en assurant les meilleurs soins. Depuis ce projet a eu bien des déboires et il est à présent envisagé comme facultatif et les économies qu’il pourrait générer sont mises en sourdine.

    Stocké par un hébergeur / qui sera la CNAM / de données sécurisées, le DMP doit s’enrichir peu à peu, des prescriptions, comptes rendus de radiologie ou autres résultats d'analyses et chaque patient pourra demander à un professionnel de santé de lui en ouvrir un, que pourront ensuite consulter et compléter des confrères, en ville ou à l'hôpital, toujours avec l'accord du patient. Cette centralisation parait à priori séduisante (elle est faite habituellement par le médecin traitant), mais s’il ne s’agit que des prescriptions et des comptes rendus d’examens, ils ont été délivrés à chaque fois au patient et il suffirait pour lui de les conserver. Il est vrai que la forme informatique est plus commode et qu’il est parfois difficile d’obtenir le dossier hospitalier.

    Permettra-t-il de faire des économies ? Assurément non.

    D’abord l’opération a un coût (elle a déjà coûté 500 millions €), exige du matériel et l’ouverture comme le suivi d’un DMP exigent du temps, ce qui conduira à rémunérer le médecin (le dossier qu’il consacre habituellement au patient étant beaucoup plus rapide à établir et à mettre à jour). / Il semble que pour la relance actuelle du DMP, il n'est pas prévu pour l'instant de rémunération du médecin pour cet excès de travail. /

    Ensuite faire des économies en évitant les examens inutiles est un peu illusoire, sauf s’il s’agit d’une redondance avec un intervalle de quelques jours, mais le DMP ne sera pas mis à jour aussi rapidement, si l’intervalle est de quelques mois, voire de quelques semaines, l’examen ancien est évidemment devenu obsolète et devra être refait (avant d’être malade, on est en bonne santé).

    Le DMP sera-t-il fiable ?

    D’abord, cela dépend comme toujours de la compétence des médecins qui fournissent les données. Espérons que les uns n’ajouteront pas leurs erreurs à celles des autres.

    Ensuite et surtout, le patient aura la possibilité de masquer certaines données (comme une maladie sexuellement transmissible), alors qu’elle est la valeur d’un dossier incomplet ?

    Le DMP peut-il être dangereux ?

    Déjà s’il manque des données ou si elles sont erronées, il peut le devenir. De façon paradoxale, on pourrait dire que plus on a confiance en sa fiabilité plus il existe un risque. Dans la pratique médicale, la remise en question doit être permanente : doute sur les conclusions des autres et doute sur ses propres conclusions antérieures.

    Le patient ne sera-t-il pas perdu et inquiet par la masse des informations qu’il ne sait pas interpréter ? Ensuite est-il souhaitable qu’un malade ait accès sans réserve au pronostic de sa maladie (dont il est « propriétaire » selon le jargon à la mode) ?

    Enfin peut-on affirmer que la confidentialité du DMP sera garantie à l’avenir ? Si l’on s’en donne la peine, il sera sans doute possible de parvenir à y pénétrer et ces dossiers pourraient intéresser des journalistes, les compagnies d’assurances ou les employeurs (s’ils n’exigent pas un jour de les consulter) ou être un motif de chantage (cf plus haut). Jusqu’à présent il n’existait qu’un seul fichage de la population en matière de santé : celui de l’assurance Maladie.

    « « Le cœur de Paris respire » mais pas les poumonsLa sagesse n’est plus ce qu’elle était. »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 10:09
    Pangloss

    Moi qui ai franchi les trois quarts de siècle et, pendant ce temps, ai beaucoup voyagé et changé de médecin, devrai-je reconstituer mon "parcours de santé" (en fait la liste de mes petits et gros bobos) depuis ma petite enfance?

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 10:30

        D'abord ce DPM est facultatif, ensuite je pense que seuls les antécédents importants y seront notés. Cependant il risque de devenir très lourd : pour commencer la caisse maladie va y mettre tous ses remboursements, et pour un patient atteint d'une poly-pathologie, on voit d'ici la masse des examens dont la plupart n'auront aucun intérêt puisque obsolètes. Si le médecin généraliste aura accès à tous les éléments du dossier, la patient pourra masquer des éléments de son dossier aux autres intervenants. On voit le danger d'un dossier incomplet. D'après ce que j'ai lu, la majorité des patients serait pour l'établissement de ce dossier qui en théorie est séduisant, il faut voir ce qu'il deviendra à l'usage, mais connaissant l'inégalité des compétences, je crains qu'il risque de contenir des "fakes news" comme on dit.

    2
    Souris donc
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 14:03

    En 2009, une association proposait qu'on mette à destination d'équipes de secours un dossier au...frigo.

    Je me suis bricolé une pochette "santé" que je mets dans mon sac à main. Le sac à main sort avec moi, pas le frigo.

    Les médecins ne doivent pas être accablés de tâches administratives. Leur temps nous est trop précieux. Surtout dans les déserts.

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 14:12

        Forcément, le récapitulatif de toutes vos maladies ça jette un froid.

      • Souris donc
        Mercredi 7 Novembre 2018 à 16:17

        Ah ben zut, je me suis toujours imaginée que j'étais caliente.

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 16:40

        Une musique qui réchauffe.

      • Souris donc
        Mercredi 7 Novembre 2018 à 16:42

        es tu palpitar : convient aux cardiologues. Qui soignent ceux qui ont le palpitant qui palpite.

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 16:54

        Mais pour le mal d'amour, ce sont plutôt les cartomanciennes que l'on consulte.

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    3
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 14:56

    Mon médecin, prends une journée par semaine, pour faire des trucs administratifs, m'a-t-il dit...

    Mais la ministre ne pratique plus elle a trouvé un truc juteux dans lequel elle ne se fatigue  pas comme les médecins en activité et puis son cher époux a été casé lui aussi par Macron, donc pour elle la vie est belle, notre vie de malade par contre va de mal en pis!

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 15:15

        Mme Buzyn a eu une carrière uniquement hospitalo-universitaire. Son mari a démissionné d'un poste important lorsque sa femme est devenue ministre de la Santé en raison du risque d'un conflit d'intérêt. Il n'est pas anormal qu'on lui est proposé un autre poste (le précédent qu'il a du abandonné était plus prestigieux : directeur général de l'INSERM)

    4
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 17:16

    Les mêmes dangers, finalement, que la carte de crédit, la carte Vitale et le téléphone portable. 

    Mais le néophyte que je suis se dit, en se rappelant des médecins d'antan,  que  rédiger des comptes rendus de consultation sur des fiches bristol, feuilleter  le Vidal pour trouver le bon médicament, faire des recherches dans sa documentation pour confirmer un diagnostic prenaient peut-être autant de temps que les contraintes de transmission informatique actuelles.  

     

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 17:34

        Mais l'un n'empêche pas l'autre. Le DMP sera une fiche-patient très étoffée et je le crains trop touffue, mais ne donnera aucune indication sur la conduite à tenir, et le médecin sera toujours amené - en outre et heureusement - à se documenter.

    5
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 18:07

    Au fond, rien ne remplacera le médecin de famille d'antan qui connaissait ses patients par cœur ! La médecine a certes fait des progrès considérables depuis, mais je ne suis pas sûre qu'humainement le progrès soit équivalent. ouch

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 18:31

        Tout dépend des individus. Les humains et les inhumains ont toujours existé , aussi bien hier qu'aujourd'hui. Ce qui doit être rendu possible est le temps nécessaire consacré au patient et que ce temps ne soit pas dévoré par des tâches  administratives qui semblent de plus en plus croîtrent aux dépens du temps purement médical.

    6
    Mercredi 7 Novembre 2018 à 21:57

    Comme, bien sur, il n'y aura aucune dérive et que seules les personnes auxquelles le patient aura donné son accord pourront le consulter, et aucune autre pour des raisons professionnelles, ou privées, ou policières, ou juridiques, ou ... et uniquement pour son bien-être physique et moral, il n'y a pas de raison de ne pas accepter ce progrès, malgré son cout dérisoire, puisque c'est l'État qui paie.

     

      • Mercredi 7 Novembre 2018 à 22:43

        Mais il n'est pas à l'abri d'une rechute. (excellent le dessin)

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