• 267. Plaidoyer pour l’incertitude

    Au début de ce mois a débuté un vaste programme espérant inclure un million de participants, recrutés dans sept villes américaines (Birmingham, Chicago, Detroit, Kansas City, Nashville, New York et Pasco). Ce programme élaboré et conduit par les Instituts nationaux de la santé (NIH) doté de 1,45 milliards de dollars alloués pour une période de dix ans par le gouvernement américain a pour objectif « de déterminer avec précision les différents marqueurs génétiques, sociaux ou comportementaux, qui favorisent le développement de certains facteurs de risque ou maladies ou au contraire qui semblent conditionner le maintien en bonne santé. »

    La médecine prédictive appliquée à des populations entières est en marche. Une gigantesque base de données va être constituée, ultra sécurisée (vraiment ?), qui recensera toutes les informations des dossiers médicaux, des questionnaires sur l'alimentation, le sommeil, l'environnement et d'autres aspects de la vie quotidienne. Les recherches s'orienteront dans des domaines très variés, allant de la sensibilité particulière à certains médicaments à la prédisposition à différents cancers

    Soulignons que l’on fera appel à des capteurs connectés et à des prélèvements ADN sur le plus grand nombre de participants, afin de mettre en place une des plus importantes « biobanques » du monde.

    Le secrétaire d'État américain à la santé est très fier de la mise sur pied de ce programme. Il a sans doute raison. Mais, pour ma part, je sens qu’une partie de mon cerveau est réticent, une rébellion synaptique qui me fait honte, aussi ai-je demandé à cette partie rebelle ce qu’elle trouve à redire à cette enquête monumentale qui touchera aussi bien les noirs (habituellement moins surveillés sur le plan médical) que les blancs.

    D’une façon générale, je n’ai pas trop de sympathie pour les surveillances collectives de la part d’une autorité quelconque surtout lorsqu’elle porte sur l’intime. Pourtant, là, elle peut être d’une grande utilité si elle précise les facteurs environnementaux susceptibles d’influencer notre santé car ces facteurs peuvent être corrigés, à condition que l’on n’oblige pas à ce qu’ils le soient. Aux USA des entreprises (dont peut dépendre l’assurance maladie) ont ainsi obligé certains de leurs employés à modifier leur comportement sous peine de rétorsions.

    La partie rebelle de mon cerveau se méfie des prélèvement ADN. L’ADN c’est vraiment un truc très intime. Et que peut-on y trouver ? Des gènes prédisposant à des maladies graves. Cela vous plairait que l’on vous annonce que vous risquez d’avoir une maladie grave et peut-être sans traitement efficace ? Une maladie qui n’apparaîtra peut-être pas, mais il va falloir vivre avec cette hantise. Cependant, me dira-t-on, le savoir permettra de mieux vous surveiller, de prendre des précautions et de vous traiter plus vite. Sans doute, mais allez-vous vivre mieux avec cette épée de Damoclès ? D’autant plus qu’elle peut ne jamais tomber.

    En fait, il est certain qu’une épée tombera, mais ce n’est pas forcément celle qui est prévue par les prédictions.

    Nous vivons dans le provisoire et dans l’incertitude, mais c’est cette incertitude qui nous permet de vivre le présent en attendant qu’une épée tombe. On se doute bien du moment où elle tombera, mais on n’est jamais sûr de sa forme.

    J’ai tendance à éviter les cartomanciennes, qu’elles exercent dans les foires ou dans la science.

    267. Plaidoyer pour l’incertitude

    « Foi sensibleLa « racisation » »

  • Commentaires

    1
    Samedi 19 Mai 2018 à 20:22

     

    Vous me croirez ou pas,...je suis en train de lire, en ce moment, un roman qui évoque accessoirement ce sujet et l'auteur parle d'un projet qui ressemble à celui-là.

    J'ai fait quelques recherches sur internet pour en vérifier la crédibilité

    Je ne sais pas si c'est en rapport avec le "fameux" (depuis cet après-midi, en ce qui me concerne...) "test de Guthrie" ou pas, mais j'ai trouvé ça, un long article de Science et Avenir de 2016 (en suivant une note bas de page de l'auteur) :

    Aux États-Unis, un programme de recherche unique au monde propose de détecter la prédisposition génétique de bébés à plus de 1000 maladies. Une façon de tester en grandeur nature l’impact sur les familles de ce qui pourrait bien, demain, être le quotidien de toutes les maternités.

    ... appelé BabySeq

     

      • Samedi 19 Mai 2018 à 20:49

        Ces projets émergent un peu partout (je crois même qu'il en existe un en Arabie Saoudite mais j'ignore les prédispositions recherchées...). Tout ça a un petit côté "meilleur des mondes", toujours pour le bien de tous.

    2
    Souris donc
    Samedi 19 Mai 2018 à 21:58

    Le CRISPR-Cas9, c’est l’iPhone de la biotechnologie.

    Si j'ai bien compris, on prend des ciseaux et on coupe dans l'ADN tout ce qui risque de développer des trucs pas sympas. Et pas besoin de constituer des bases de données à portée de n'importe quel hacker malveillant.

      • Samedi 19 Mai 2018 à 22:48

        C'est un outil de dépose et pose d'un fragment d'ADN et donc pour intervenir dans la programmation de la vie. C'est à la fois admirable et inquiétant : un outil polyvalent qui pourra être utilisé pour le bien comme pour le mal.

    3
    Dimanche 20 Mai 2018 à 07:03

    Sur ce point, j'aurais tendance à être moins pessimiste que vous... enfin, que la partie rebelle de votre cerveau. 

    Pour la raison qu'après tout,  les gènes prédisposant à des maladies graves, n'est-ce pas ce qu'on appelle... l'hérédité ou la prédisposition ethnique à certaines maladies (comme la drépanocytose)? On en connait déjà depuis longtemps de larges pans de façon empirique. Aller plus loin dans la connaissance de ces mécanismes améliorera traitements et prévention sans changer grand-chose au risque de dévoiement existant déjà.  

    La seconde raison est que si nous ne le faisons pas, d'autres le feront de toute façon et c'est encore nous qui respectons le plus l'éthique dans la recherche médicale.

      • Dimanche 20 Mai 2018 à 08:02

        Pour ce qui concerne la fréquence de certaines maladies dans des groupes humains, elle est en effet connue. Mais la génétique permet de découvrir un bien plus large éventail de prédispositions génétiques que la connaissance empirique de l'hérédité. On vous donnera également la longueur des télomères à l'extrémité des chromosomes, indice de l'espérance de vie. Je ne nie pas les avantages d'une connaissance plus précise de son bagage pathologique, mais dans la mesure où nous sommes de toute façon mortels, il vaut peut-être mieux ne pas trop nous pourrir la vie, d'une part parce que cette médecine prédictive est très aléatoire et d'autre part parce qu'une bonne hygiène de vie est la meilleure des préventions dans la plupart des cas, même s'il existe des déterminismes génétiques contre lesquels nous sommes pour l'instant impuissants, mais ce fait n'est-il pas à la base de la sélections naturelle ? 

        Par ailleurs, que les USA fassent des recherches dans ce sens n'empêche aucunement des régimes totalitaires de les faire et de les utiliser dans le sens de l'eugénisme (je pense en particulier à la Chine)

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    4
    Dimanche 20 Mai 2018 à 10:06

    Je partage votre réticence vis-à-vis de la médecine prédictive (quel bienfait peut-on retirer de l'annonce qu'on a de fortes chances de développer telle ou telle maladie?) mais si ce genre d'étude permet de développer une médecine préventive, je suis d'accord. Cela permet (ou devrait permettre) aux pouvoirs publics d'éliminer des risques liés à certains produits qu'on trouve dans l'alimentation et l'environnement.

      • Dimanche 20 Mai 2018 à 10:29

        Je n'ai également aucune réticence pour ce qui concerne l'alimentation et l'environnement  et la détermination des facteurs extérieurs susceptibles d'altérer notre santé et notre longévité, car là nous avons toutes les chances d'être efficaces et sans augmenter notre anxiété.

      • Souris donc
        Lundi 21 Mai 2018 à 10:31

        Moi, les nouvelles modes alimentaires m'angoissent. Pas de gluten, pas de je ne sais quel ingrédient des fraises Tagada plus dangereux que l'arsenic, et dans quelques semaines, ils vont nous trouver autre chose pour aliment-ter notre anxiété et précipiter le gogo vers un nouveau régime végan ou vers les rayons dédiés des supermarchés et du commerce qui se doit d'être équitable (et hop, un petit coup de culpabilisation).

        Le remède : zapper tout article concernant l'alimentation, ce sont tous des écolos qui font moins de 2% à toutes les élections mais savent intimider les chefs d'entreprise de l'agroalimentaire et de la distribution qui obtempèrent la main sur la couture. Et inlassablement désigner le grand Satan : Monsanto.

      • Lundi 21 Mai 2018 à 10:52

        Tout est une question de bon sens, la chose au monde la plus mal partagée. Des notions saines et simples deviennent rapidement des obsessions quand elles rencontrent des esprits un tantinet fanatiques.

    5
    jeannot
    Lundi 21 Mai 2018 à 23:54

    j'habite ici..je n'ai pas entendu parler de ces apprentis sorciers et de leurs plans,.

    Pasco n'est pas une ville, ni grande ni petite. c'est un comté en Floride.  Comme il n'existe pas d'assurance maladie à la française, j'ai des doutes.  Ceci dit, il y a toujours eu une perversion de l'éthique médicale aux US.  Les exemples abondent.  mais d'un autre côté je trouve que le peu d'importance donné aux  travaux scientifiques d'Emmanuelle Charpentier  qui a découver CRISPR-CAS9, avec Jennifer Doudna à UCLA, par les autorités françaises, volant toujours au secours de la victoire, pitoyable.  

    Elle a une chaire, et bien plus en Allemagne et ailleurs, mais pas en France.  Pourquoi faut-il donc s'exiler pour faire de la recherche scientifique?

      • Mardi 22 Mai 2018 à 08:40

        Je ne peux évidemment rien dire de ce qui se passe sur place. D'après mes sources, plusieurs milliers de personnes auraient déjà été enrôlés dans ce programme qui, je pense, n'ont rien à débourser pour y participer puisqu'elles prêtent leur corps à la science (il serait même logique qu'elles soient rémunérées).

        Le cas de E. Charpentier est en effet l'illustration de l'état déplorable de l'organisation de la recherche en France. (un grand article lui a été récemment consacré dans Le Point).

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