• 23. Propos sur la prévention

    L'idée que développer la prévention permettrait de diminuer les dépenses de l'Assurance Maladie est surtout émise par les politiques qui devant les difficultés économiques du système de protection sociale donne ainsi l'impression d'avoir trouvé un remède. Pour les médecins la prévention n'est pas une solution, elle fait partie de leur activité normale et la plupart ne prétendent pas qu'elle est plus économique que son absence.

    Prévention et dépistage sont souvent confondus, et diagnostiquer des maladies déjà existantes ajoute au prix du traitement des maladies dépistées celui du dépistage. Le dépistage est une chasse bienfaisante ouverte toute l'année, les plus beaux trophées sont ceux qui paraissaient en bonne santé.

                                                                                  

    L'absence de prévention ne manque pas d'intérêt

    Prévenir les maladies est à la fois l'idéal et la négation de la médecine. Une prévention universelle et réussie  doit faire de chacun son propre médecin. Mais en raison de notre finitude, la prévention ne peut être qu'un mythe, sauf pour les maladies que l'on provoque soi-même. Si l'on arrête une intoxication à temps, on évitera les maladies qui lui sont propres, mais même si l'on continue à s'intoxiquer la possibilité d'une mort prématurée ne laissera pas le temps aux autres maladies d'apparaître, réalisant une prévention par l'absurde et une réduction mortifère des dépenses. « Je n'autorise personne à décider à ma place ce qui est pour moi le souverain bien ; et, au pire, je réclame le droit de creuser ma tombe de la manière qui me plaît » (Gabriel Matzneff)[1]

                                                                                  

    Peut-on empêcher les maladies d'apparaître ?

    Dans les pays développés, pour empêcher des maladies d'apparaître et non pour les dépister, les moyens  sont peu nombreux : les vaccinations, les précautions à prendre (dont le préservatif) pour les maladies infectieuses ou parasitaires, la lutte contre les intoxications par le tabac, l'alcool, les drogues ou les produits chimiques. La diététique s'impose chez les obèses, sans être toujours efficace. Si prévenir l'éclosion de maladies ne peut être que bénéfique, arrêter de fumer favorise parfois l'obésité, le tabac rapporte  peut-être plus qu'il ne coûte et un obèse ou un tabagique qui meurt jeune est source d'économie pour l'Assurance Maladie.

    Le champ de la prévention réelle est donc étroit, il concerne essentiellement les maladies infectieuses et les intoxications. Quant aux affections dégénératives, pour l'instant, on ne les prévient pas, au mieux on les retarde en traitant les facteurs qui semblent favoriser leur éclosion.

                                                                                    

    Plus il y a de facteurs plus ils sonnent

    En étudiant des populations[2] est apparue la notion de facteurs de risque d'une maladie dont l'importance et le nombre permettent d'évaluer la probabilité de la voir apparaître dans l'avenir. C'est surtout pour les affections cardio-vasculaires que cette notion a été mise en évidence et on ne cesse de découvrir de nouveaux marqueurs ou des facteurs de risque prédisposant à l'athérosclérose et à ses complications comme l'infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux. En 1981 le compte était de 246, à présent on avance le chiffre de 400 et peut-être plus, bien que 6 d'entre eux paraissent les plus importants[3]

     

    Difficile d'échapper à la prévention

    Certains facteurs de risque sont déjà des maladies comme le diabète ou l'hypertension artérielle et leur traitement s'impose en dehors de toute prévention, mais d'autres sont purement biologiques comme le cholestérol sanguin. Le risque de l'athérosclérose croissant de façon linéaire avec les chiffres de la tension artérielle et le taux de certaines fractions du cholestérol, on en conclut que « plus c'est bas, mieux c'est », faisant disparaître petit à petit la notion de normalité. Les critères qui séparent l'individu considéré comme sain de celui considéré comme malade ou risquant de l'être, ont changé et toujours en augmentant le nombre de malades. C'est ainsi qu'en abaissant les critères on a augmenté d'un coup et du jour au lendemain le nombre de diabétiques, d'hypertendus[4] ou d'hypercholestérolémiques. En supprimant les normes,  on en vient à traiter des patients qui n'ont pas d'élévation véritable de la pression artérielle ou du cholestérol lorsqu'on les estime menacés. Les plus ardents défenseurs de la prévention ont même  proposé en 2003 de ne pas se préoccuper des chiffres et des taux, de ne tenir compte que de l'âge et de prendre systématiquement une pilule comportant plusieurs médicaments actifs (la « polypill ») à partir de 55 ans. Il est possible que cette solution soit efficace mais il n'est pas certain qu'elle serait économique.

                                                                                  

    Un déterminisme fâcheux

    La génétique viendra enrichir cet arsenal préventif. Une grande part de nos maladies sont inscrites dans notre génome et on se tourne de plus en plus vers lui pour lire notre devenir. Aujourd'hui, on détermine déjà pour nombre d'entre elles le profil génétique correspondant. Là encore la médecine prédictive s'appuie sur des probabilités et prévoir par des tests génétiques une maladie qui n'existe pas encore et n'existera peut-être jamais aura des conséquences imprévisibles. Se méfier des généticiens : qui modifie un œuf modifie un bœuf. 

                                                                                     

    La prévention prolonge la vie

    Qu'elle soit économique ou non, la prévention, la vraie, celle qui empêche définitivement des maladies d'apparaître sauve de nombreuses vies. Une prévention qui ne retarde que l'échéance fabrique des vieillards respectables que la société reconnaissante a le devoir de prendre en charge, mais il n'est pas certain qu'elle aide à mieux vivre. Aussi indiscutable soit-elle, la prévention n'est pas une solution pour faire des économies et ce n'est pas son but.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora




    [1] Le taureau de Phalaris, la Table Ronde

    [2] La première étude concernant les affections cardio-vasculaires a débutée en 1948, sur 5000 sujets de la ville de Framingham (Massachusetts)

    [3] Ce sont pour l'infarctus du myocarde : le déséquilibre des apolipoprotéines (élévation du LDL cholestérol), le tabac, l'hypertension artérielle, le diabète, l'obésité, le stress avec 3 facteurs qui réduisent le risque : la consommation quotidienne de fruits et légumes, l'exercice physique régulier et la consommation modérée d'alcool (Etude INTERHEART, 30000 patients dans 52 pays)

    [4] En adoptant 140/90 comme limite supérieure de la normale pour l'hypertension artérielle, le nombre d'hypertendus dans le monde serait de 972 millions et pourrait être en 2025 de 1,56 milliards (Kearny P. et coll, Lancet 2005)

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Mai 2008 à 21:07
    J'ai lu l'article très attentivement . Je ne permettrai pas de faire le moindre commentaire mais c'est tout à fait clair et très intéressant .[touche "Liza" ... Je suis terrorisée concernant un certain domaine, vous savez bien lequel ...] Merci beaucoup pour votre commentaire Paul . Concernant le "rêve d'espérance", peut-être ... quand je pouvais encore voyager ... mais ce temps est hélas révolu et c'étaient mes seuls "espoirs de rêves et vice-versa" . Toute mon amitié . Liza
    2
    Dimanche 28 Novembre 2010 à 20:56
    Magistral ! Tout y est, tout est dit et très bien !
    3
    Dimanche 28 Novembre 2010 à 22:31

    Merci, mais ce n'est politiquement correct.

    Dr WO

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