• « Et si vous essayiez de ne rien faire », François Magendie, un des plus grands médecins de la première moitié du XIXe siècle, créateur de la médecine expérimentale, donne ce conseil à un de ses internes pour le rappeler à la sagesse de l’expectative quand on ne peut mieux. Il lui demande d’essayer car la nature du médecin est d’intervenir et s’abstenir exige de sa part un effort. Si l’on en croit Fernando Savater[1], l’homme stupide se caractérise par la passion de l’intervention, c’est un imbécile actif.

    L’aphorisme « Primum non nocere », d’abord ne pas nuire, est attribué au plus grand des Hippocrate qui ne connaissait d’ailleurs pas le latin dans l’île de Cos au Ve siècle avant notre ère. Hippocrate est le plus connu de tous les médecins, ne serait-ce que par le fameux serment, prêté par  les étudiants en médecine au terme de leurs études. L’ennui, c’est qu’on ne sait pas avec certitude qui il était. La famille  des Hippocrate donna des médecins sur six générations au moins, appartenant à l’Ecole des Asclépiades de l’île de Cos, la première au VIe siècle avant notre ère. Peut-être s’agissait-il du petit-fils du fondateur. L’ennui est que l’auteur des écrits est également incertain et ceux dont on connaît les auteurs ne sont pas d’Hippocrate le Grand.

    « Quiconque voudra désormais exercer la médecine devra se présenter devant nos juges, afin d’être examiné sur les matières apprises. S’il est jugé trop téméraire, il sera emprisonné et ses biens seront vendus à l’encan. Le but du présent décret est d’empêcher les sujets de Notre Royaume de courir des dangers par suite de l’ignorance des médecins » (décret de l’an 1140 signé par le Roi Roger II de Sicile)[2] . Le plus sûr à l’époque et dans ce lieu était pour un médecin de ne rien faire

    Au XVIIIe siècle, le plus réputé des cliniciens, le Hollandais Hermann Boerhaave, qui soignait des rois, le pape, le tsar, préconisait la prudence, vertu cardinale, en conseillant de ne traiter les maladies qu’à leur décours. Il avait un livre secret qu’on ouvrit à sa mort. Il ne contenait que des pages blanches et cette phrase écrite de sa main : "  Tenez vous la tête fraîche, les pieds chauds, le ventre libre et moquez-vous des médecins " [3]. De sa part il s’agissait d’une vision lucide de la piètre efficacité de la médecine de l’époque où l’abstention était le plus souvent moins nocive que l’intervention.

     

    Aujourd’hui, " On a tous les moyens de faire n’importe quoi ", il est donc plus utile de déterminer ce qui est inutile pour le malade que d’utiliser chez lui tous le moyens dont on dispose en croyant être utile.

    Reste que le malade, quelle que soit l’époque, exige que le médecin soit un imbécile actif. Il comprend mal que dans son cas on puisse s’abstenir. « On ne me fait rien » est un reproche amer et inquiet. Un médecin qui s’abstient est plus perçu comme impuissant que comme prudent et la maladie comme incurable plutôt que comme d’évolution spontanément favorable. La tendance est donc d’agir en choisissant des actions anodines. Le malade a besoin d’espoir avant même que d’être soigné, et prescrire un examen complémentaire seulement pour rassurer ou un placebo pour faire quelque chose, c’est aussi traiter le malade si ce n’est la maladie. «  Je doutais fort de ce remède mais j’étais soucieux de donner à sir William le baume inégalable qu’est l’espoir de guérir. » (J. Hamburger, Journal d’Harvey).



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Dictionnaire philosophique personnel

    [2] Cité par Kenneth Walker Histoire de la Médecine

    [3] Cité par M. Dupont, Dictionnaire historique des médecins


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  • DANS MA VILLE XXI

    QUELQUE PART

     

    En partant, le soleil dans sa hâte

    A oublié sur les toits noirs de Paris

    Sa longue écharpe écarlate

    Bientôt dérobée par la nuit.

     

    Les mères disaient parfois qu’un ciel de sang

    Etait signe de guerre et de départs.

    Les mères disaient vrai. De tous temps,

    Il y a toujours eu une guerre quelque part.


    Paul Obraska


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  •   

    MEUTES XV


    Max Beckmann « Nuit » 1918-1919

     

    LA NUIT BARBARE

     

    La nuit avait envahi la terre

    Et les fantômes ont surgi des profondeurs

    Entremêlant leurs restes de chairs

    Assassins, violées et violeurs

    Dans un amas de corps écartelés

    Bourreaux et victimes captives

    Ensemble dans la nuit ensanglantée

    Par delà les frontières, par delà les rives

    Les fantômes sont venus rejouer leur vie

    Revivre l’horreur de leurs cauchemars

    Ce qu’ils ont fait subir, ce qu’ils ont subi

    En sombrant unis dans la nuit barbare

    Paul Obraska


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  • Le « Courrier international » nous a rapporté ce mois-ci (à partir du journal Milenio) quelques nouvelles réjouissantes du Mexique, enfin réjouissantes pour certains hommes. Dans 20 Etats (sur 31) de ce pays un homme (je ne sais pas si c’est le bon qualificatif) peut enlever une femme, la séquestrer, en abuser sexuellement  et être exonéré de toute responsabilité, à condition toutefois (rien n’est parfait) d’accepter de se marier avec sa victime. Rien n’est dit sur les désirs de cette dernière.

    Si un tel homme alléché par cette perspective se rend au Mexique, il lui est conseillé, s’il lui en prend l’envie, de ne pas voler de bétail dans les Etats du Tamaulipas et du Michoacàn car la loi le punirait de 12 à 13 ans de prison, mais en revanche, Il pourrait se défouler en tuant une femme, car il ne risquerait alors que de 3 ans de prison.

    Le Mexique, si je ne m’abuse, est une république fédérale démocratique et la religion dominante est le catholicisme.  


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  • Devant un tel étalage on trouve toujours un truc qui vous plait. Alors quand on peut, on l’achète et soigneusement emballé on l’amène triomphalement chez soi. C’est alors que la perplexité commence : qu’en faire, où le mettre. Non, là ça ne va pas, car il faudrait retirer cet autre truc qui est bien mieux et auquel on s’est attaché et on finit par se demander pourquoi on l’a acheté, il nous plaisait plus sur l’étalage. En fait, c’est l’étalage qui nous plaisait.

     

     


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  • L’idée de personnaliser les soins est excellente. La difficulté est de la mettre en œuvre. Elle était appliquée dans le passé, cela devient de moins en moins  possible dans le présent, on continue cependant à la proclamer partout mais en recommandant l’inverse.

     

    Un idéal : être dans la moyenne

    C’est au XIXe siècle que l’astronome et statisticien belge Adolphe Quetelet a inventé l’indice de masse corporelle (quotient du poids en kilogrammes par le carré de la taille en mètres) et « l’homme moyen » qui groupe les caractéristiques du plus grand nombre d’individus d’une population. En médecine, il vaut mieux ne pas trop s’en écarter, même si en s’écartant de la norme on se sent parfaitement bien, le médecin cherchera toujours à vous y mettre.

     

    L’individu perdu dans la foule

    Si la statistique a permis d’introduire les mathématiques en médecine, à la grande satisfaction des savants, elle a aussi conduit à passer de l’individu à la foule. On ne soigne l’individu qu’en fonction de la multitude. Le médecin n’ose plus regarder un patient uniquement en fonction de sa propre expérience mais à travers l’étude d’un grand nombre d’individus effectuée par d’autres. Ce n’est que par l’apport des statistiques et de l’épidémiologie qu’il devra juger de la normalité de son patient, de son risque d’avoir une maladie et du traitement à prescrire. Mais l’épidémiologie cherche en gros ce qu’il faut traiter en détail et passer de la multitude à l’individu n’est pas toujours simple et dénué de danger. « La médecine ne s’applique pas à l’humanité en général mais à chaque individu en particulier » (Henri de Mondeville, chirurgien au XIVe siècle)

     

    « La tyrannie de la majorité »

    Les recommandations des sociétés savantes ou des agences sont issues des essais thérapeutiques et la plupart des médecins n’osent pas s’y soustraire, elles deviennent alors un obstacle à la personnalisation des soins que l’on conseille par ailleurs pour avoir bonne conscience.

    Lorsqu’il a été montré (par les critères de « la médecine par les preuves ») sur le grand nombre qu’un médicament est supérieur à un autre, il est logique d’inciter le médecin à le prescrire, mais rien ne permet d’affirmer pour un malade donné que le médicament « inférieur » ne serait pas supérieur à l’autre ou même que l’absence de traitement (représenté par le placebo dans les essais) ne lui serait pas plus bénéfique.

    Tantôt le médecin doit faire prendre aux patients un traitement qui ne leur sert à rien parce qu’il a été démontré qu’il sert au plus grand nombre, l’individu se plie à la majorité. Tantôt il est amené à traiter un grand nombre de malades pour sauver l’un d’eux et pour imposer le fardeau à tous, le médecin suggère à chacun qu'il sera peut-être celui-là. Les plus grandes solidarités sont le plus souvent involontaires et ignorées par ceux que l'on rend solidaires malgré eux.

     


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  • Félix Vallotton « La valse »

     

    LES YEUX NOIRS

     

    Sur le pont Saint-Louis

    Devant les badauds était assis

    Un accordéoniste sans tête

    Ses doigts couraient à l’aveuglette

    Sur les touches de l’instrument

     

    Il jouait les yeux noirs

    Sans tête et sans voir

     

    Comme un nœud coulant

    Un nœud papillon blanc

    Ornait son cou sans tête

    Hier il avait quitté la fête

    Sans quitter son habit noir

     

    Il jouait les yeux noirs

    Sans tête et sans voir

     

    Un accordéon c’est si beau

    Pour jouer une valse ou un tango

    Mais l’accordéoniste sans tête

    Ne voulait plus jouer de musette

    La tête perdue dans son habit noir

     

    Il jouait les yeux noirs

    Sans tête et sans voir

     

    L’accordéoniste avait perdu la tête

    Dans un bal la veille au soir

    En jouant une valse musette

    Devant la femme aux yeux noirs

    Qui lui avait tourné la tête

    Mais l’avait laissé sans espoir

     

    Il jouait les yeux noirs

    Sans tête et sans voir

     

     

     

    Paul Obraska

     


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  • Ce matin à France inter le ministre de l’Education Nationale Xavier Darcos, interrogé par l’animateur de la station sur les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises, admet qu’il faut tenter de les limiter en légiférant, mais souligne qu’il est logique qu’ils soient bien rémunérés en raison des risques qu’ils prennent. Ah ! Bon, parce qu’ils prennent des risques ? L’entreprise leur appartient ? Ils ont investi  leur avoir pour la créer ou emprunté en gageant sur leurs propres biens ? Ils n’ont plus grand chose, sinon des dettes, lorsque leur entreprise fait faillite ? Ils prennent des risques, mais lesquels ? Les dirigeants des grandes entreprises  sont salariés avec un salaire astronomique et un contrat toujours avantageux. Quoi qu’ils fassent (en dehors des escroqueries toujours possibles car la voracité n’a pas de bornes) : mauvaise gestion, licenciements, faillite ou fermeture de l’entreprise, ils partiront le cul bordé d’or et aussi mauvais soient-ils, les bougres iront toucher des jetons de présence dans les conseils d’administration des copains et sortiront peut-être un livre pour donner des conseils aux autres.

    Ils prennent des risques, mais lesquels ?? Un accident de chasse ? Une balle perdue en jouant au golf ? Une indigestion après un repas d’affaires ? Un bout de carapace de homard malencontreusement projeté dans un œil ? Le journaliste, lui, n’a pas relevé l’absurdité proférée par un homme qui a tout de même son bac, mais ma réaction a été assez bruyante pour déranger les voisins.

     


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  • Peut-être savez-vous d’où vient l’expression « travailler du chapeau », dans ce cas ne lisez pas la suite. Pour ma part, j’ai longtemps pensé, avec une simplicité naïve, que la sagesse populaire dans sa bonté transmet au couvre-chef la folie du chef qu’il recouvre. Pourtant Lewis Caroll dans « Alice au pays des merveilles » qu’il écrivit dans les années 1860, poussé par son goût pour la fréquentation des petites filles,  l’un des personnages est appelé « le chapelier fou ». C’est effet dans le chapeau que l’on doit probablement tirer l’origine de l’expression : au XIXe siècle les ouvriers des chapelleries manipulaient du feutre fabriqué à partir de poils d’animaux traités au mercure et présentaient parfois des troubles psychiques provoqués par une intoxication chronique à ce métal (hydrargyrisme).

    Bon, vous le saviez et vous avez peut-être lu le billet en pensant que j’avais une autre solution, alors je vous tire virtuellement mon chapeau, car je n’en porte pas afin d’éviter de le faire travailler.

    Tableau : Magritte : "Le fils de l'homme"


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  • A la question : « Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’humanité », le Dalaï-Lama aurait répondu :

    « Les hommes…parce qu’ils perdent la santé pour accumuler de l’argent, ensuite ils perdent de l’argent pour retrouver la santé. Et à penser anxieusement au futur, ils en oublient le présent de telle sorte qu’ils finissent par non vivre ni le présent, ni le futur. Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir…et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. »


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