• Cette idée omniprésente dans le passé, s'appuyant sur les croyances et expliquant l'impuissance des médecins, reste encore vivace de nos jours

     

    Un Tireur d'élite

    Dans l'Iliade, pour punir Agamemnon d'avoir enlevé la fille d'un prêtre et refusé de la rendre, les flèches d'Apollon frappent le camp grec et répandent une épidémie.

    Saint Grégoire parle de flèches tombant sur Rome pendant la première pandémie de peste du VIe siècle

    La peste du XIVe siècle tua près de la moitié de la population de l'Europe. Touchant tous les milieux sans distinction de rang ou de fortune, elle a semblé longtemps être l'expression du courroux divin. Des flèches venant du ciel et touchant l'homme, symbolisaient la maladie envoyée comme punition divine. Au XVème, des tableaux représentant les hommes frappés par cette maladie montrent des flèches atteignant l'aine ou l'aisselle, là où apparaissent les bubons. Dieu lançant des traits fût par la suite remplacé par un intermédiaire plus anonyme : la Mort  troquant sa faux contre un arc et des flèches et entraînant les pestiférés dans une danse macabre.

    La maladie comme punition divine lui donnait un caractère cosmique expliquant l'impuissance des médecins face aux forces surnaturelles.

     

    Tous coupables

    Tous les moyens étaient recherchés pour amadouer le Ciel : prières, processions, pénitences et flagellations. Lors de la peste du XIVème, des centaines d'hommes et de femmes venant d'Aix-la-Chapelle exécutaient jusqu'à épuisement une danse de Saint Guy sur la place publique, et allaient de ville en ville : Cologne, Metz et Erfurt, entraînant les spectateurs dans leurs convulsions frénétiques. La Confrérie de la Croix arrivant de Hongrie, traversait l'Europe, les frères tête couverte et yeux baissés, portaient des costumes sombres avec une grande croix rouge sur la poitrine. Ils exécutaient en public, deux fois par jour, des flagellations avec des fouets à triples lanières terminées par des pointes de fer. Leur venue était annoncée par des sonneries de cloches. La compagnie continuait sa tournée de ville en ville à moins que la peste de la décime.  Ces démonstrations impressionnantes étaient toutes inefficaces. Les hommes d'Eglise s'efforçaient de déterminer le péché responsable. Il variait selon les pays. On incriminait l'impiété, l'opéra ou le théâtre ou les habits trop voyants ou les longs souliers pointus, attribuant à Dieu des préoccupations pour le moins frivoles.

    Curieusement dans la conception religieuse de la maladie, c'est toujours  Dieu qui punit pour le péché et le diable n'intervient que pour la maladie mentale. Satan offre plutôt la santé et la jeunesse contre l'âme. L'âme serait-elle pathogène ?


    "La procession des flagellants" de Goya

                                                                                   

    Des malades au bûcher

    Pour se préserver de la lèpre pourtant peu contagieuse, les moyens ont été parfois radicaux. La crécelle permettait aux lépreux de signaler leur présence afin que l'on s'en écartât.  Les religions, prêtres et fidèles, considéraient également la lèpre comme une punition divine. Au XIVe siècle, les lépreux, accusés d'avoir empoisonné les puits, ont été exterminés. En 1321, restée dans les mémoires comme l'année de la crémation des lépreux, l'archevêque de Lyon en fit brûler un grand nombre.  Le roi Philippe V le long en profita pour confisquer leurs biens. Au XVIe siècle, alors que la lèpre devenait plus rare, certains se faisaient passer pour lépreux afin de ne pas travailler et ne pas payer d'impôts. Quelques établissements devinrent des lieux de vices et d'orgies transformant les bordes (cabanes de lépreux) en bordels[1].

                                                                                  

    Des malades soumis aux châtiments corporels

    A la fin du XVe siècle apparaît brusquement la grande vérole lors de l'invasion de l'Italie par Charles VIII. Elle se répand à grande vitesse et ravage toute la planète, comme la pandémie de sida actuelle. On n'en connaît absolument pas l'origine,  chaque peuple en accusant un autre, mal français pour les Italiens, mal napolitain pour les Français, mal des Francs pour les Arabes, mal portugais pour les Chinois, mal chinois pour les Japonais et mal des Indiens d'Amérique pour beaucoup, sans la moindre preuve, uniquement parce que l'épidémie est contemporaine du voyage de Christophe Colomb.

    C'est l'Italien Jérôme Fracastor qui identifie la vérole, la baptise syphilis, affirme la contagion par voie sexuelle et conseille  le mercure qui restera le seul traitement jusqu'au XXe siècle. Fracastor

    Les malades ont été longtemps dénoncés, isolés, stigmatisés, culpabilisés et parfois punis. A Bicêtre, ceux que l'on estimait coupables étaient flagellés. Dès 1496 les étrangers atteints devaient quitter Paris sous peine de pendaison, les syphilitiques devaient quitter Edimbourg sous peine d'être marqués au fer rouge et sous Louis XIV les prostituées trouvées dans la ville de Versailles risquaient de perdre leurs oreilles.

    Avec la pénicilline la maladie semblait vaincue car un traitement précoce la guérit sans séquelle. Depuis 2000 la syphilis est de retour, favorisée par la multiplication des partenaires et l'abandon du préservatif.

                                                                                    

    Régulation divine de la démographie

    La croyance dans l'intervention de l'Au-delà dans la maladie n'est pas l'apanage du Moyen-Age. La transmission du choléra se faisant par l'eau, les aliments souillés, et le contact manuel avec le porteur du vibrion cholérique de Koch, elle atteint de préférence les pauvres vivant nombreux dans des espaces étroits. Lors de l'épidémie de 1832 à Paris, certains dirent qu'il s'agissait d'une divine providence, permettant d'absorber l'excédent de population par rapport aux moyens d'existence.

     

    La maladie reste une punition

    De nos jours, lorsque l'avortement était clandestin, certains considéraient que la mort d'une avortée était une juste punition et on n'a pas manqué d'affirmer que la pandémie du sida était une punition divine frappant les tenants de la libération sexuelle. Dans l'esprit de tous et même dans celui des médecins, ne pense-t-on pas implicitement que les maladies provoquées par l'alcool, le tabac, les drogues punissent ceux qui se sont rendus coupables d'avoir cédé à leurs penchants. Inversement, combien de malades ne comprennent pas qu'ils puissent l'être, ne s'étant livrés à aucun écart et commis aucune faute, ayant suivi la prévention ou le traitement à la lettre et ressentent la maladie comme une punition injuste, d'autant plus injuste que le voisin intempérant reste, lui, en bonne santé.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


    [1] W. Hansen et J.Freney, Bulletin de la Sté Française de microbiologie, fév 2003.


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  • Si les dieux peuvent rendre les hommes malades, il n'y a aucune raison pour que les hommes ne cherchent pas à les imiter.

    Les Scythes au Ve siècle avant notre ère trempent leurs flèches dans du cadavre putréfié.

    En 1347 les Mongols assiègent Caffa en Crimée, un comptoir tenu par les Génois. Avant de lever le siège ils catapultent des corps de pestiférés par dessus les murailles. Les Génois reprennent la mer et vont disséminer la maladie dans les ports où ils relâchent, jusqu'à Marseille. Même si les études épidémiologiques semblent infirmer cette origine,  les Tatars garderont la  Grande Peste noire du Moyen Age sur la conscience.

    A la fin du XVe siècle les Espagnols mettent du sang de lépreux dans le vin laissé aux Français qui investissent Naples, mais heureusement la lèpre ne s'attrape pas si facilement.

    C'est à une épidémie de variole apportée par un de ses esclaves que Cortés doit l'effondrement rapide de l'Empire Aztèque, mais il ne l'avait pas fait exprès.

    Par contre c'est exprès qu'en 1763, le colonel Henry Bouquet, de l'armée de sa Majesté Britannique, avec l'accord du général Amherst, fait distribuer des vêtements de varioleux aux tribus indiennes de Fort Pitt au Canada.

    On pourrait multiplier les exemples qui relèvent tout de même de l'amateurisme. C'est au XXe siècle que la guerre bactériologique devient une affaire de professionnels, enfin confiée à des « médecins » biologistes.

    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora


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  • Arnold Böcklin "La peste"


    FLEAU

     

    Les vieux racontaient aux enfants de leur voix flûtée,

    Qu'un horrible fléau, dans les temps anciens,

    Avait ravagé des pays, détruit des peuples entiers,

    Et installé chez tous la terreur du prochain.

     

    Les enfants écoutaient par respect pour les vieux,

    Mais on sait que les vieux manquent parfois de raison,

    Pour les enfants un tel fléau ne pouvait exister,

    Et ils retournaient sans souci à leurs occupations.

     

    On parla du fléau dans des contrées lointaines.

    On ne crut pas les voyageurs malgré leur émotion,

    Leurs récits furent pris pour des calembredaines,

    Et chacun continua ses occupations.

     

    Aux marges du pays apparut le fléau.

    Les sandéfauts pensèrent échapper à ses méfaits,

    Le mal ne toucherait sans doute que les anormaux,

    Et les sandéfauts s'écartèrent des contrefaits.

     

    Le mal envahit brutalement le pays,

    D'ampleur inconnue depuis des temps immémoriaux,

    Il détruisit sans égard, les pauvres et les nantis,

    Et jusqu'à l'âme des gens normaux.


    Paul Obraska


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  • Arcimboldo "Le bibliothécaire"


    MOTS

     

    Les hommes sages vivent en silence,

    Loin du monde et de sa jactance.

     

    A l'abri du flot malin des mots menteurs,

    Des bouquets de mots roses qui promettent le bonheur,

    Des salves meurtrières des mots haineux,

    Et du poids fantastique des mots creux.

     

    Les milliers de mots dits s'envolent au vent.

    On les épingle dans les livres pour les retenir,

    Ils y restent prisonniers, parfois éternellement,

    Et l'on écrit des mots sur ce qu'ils veulent dire.

     

    Les mots pour découvrir les choses ou pour en rire

    Meurent beaucoup trop vite pour s'en souvenir,

    Réels, ils s'effacent avant ceux qui offrent l'éternel.

    Pour que les mots demeurent, ils doivent venir du ciel

     

    Et Dieu, tel un instituteur, dicte des mots sans mettre son paraphe,

    Et tape les doigts de sa règle à la moindre faute d'orthographe.

     

    Les hommes sages vivent en silence,

    Les mots sonores éveillent leur méfiance.


    Paul Obraska


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  •  

    Des mots et surtout de périphrases viennent enrichir la langue, apportant une signification symbolique ou politique, en remplacement de mots qui existent déjà, qui ont le même sens et que l'on veut voir disparaître pour obéir en particulier au « politiquement correct ». Sémantique de substitution qui ne change rien aux situations ou aux faits réels et qui pourrait être qualifiée d'hypocrite. La chose ayant une connotation injustement honteuse plutôt que changer le regard des gens sur la chose, on change le mot qui la désigne en espérant que le regard suivra.

    Cette sémantique est pleine d'imagination et parfois de poésie. Prenons le terme bien connu de « techniciens de surface », il implique la possibilité de « techniciens des profondeurs » périphrase qui pourrait désigner soit des égoutiers soit des philosophes. Par contre remplacer élève par « apprenant » n'apporte rien d'autre que de la bêtise.

    Umberto Eco dans son livre  A reculons, comme une écrevisse donne des exemples que je me permets de commenter :

    Une personne n'est plus emprisonnée mais « socialement séparée », elle n'est pas privée de liberté, mais vient rejoindre les pensionnaires d'un asile d'aliénés et même les misanthropes, les ermites ou les religieux qui font retraite dans un monastère. Ceci afin que l'on n'accuse pas la société de vouloir punir quelqu'un pour ses méfaits.

    Un cow-boy devient  un « fonctionnaire de contrôle bovin » ça fait moins péquenot, mais cow-boy avait plus de prestige.

    Tremblement de terre devient « correction géologique », là je pense qu'il s'agit d'un canular, car la terre se fiche pas mal qu'on l'accuse de trembler.

    Le clochard est une personne à « résidence flexible », ça c'est une périphrase de toute beauté, on a presque envie d'en acquérir une.

    Une femme facile est  « horizontalement accessible », ce n'est plus un défaut : c'est une qualité.

    Un homme blanc est « un manquant de mélanine », ça c'est manifestement un défaut et implique la supériorité du noir sur le blanc.

    Il faut aussi y ajouter toutes les périphrases qui tentent de diminuer les handicaps :

    Un impuissant est « à  érection limitée » L'érection n'est pas absente, elle manque seulement d'efficacité, ce qui, entre nous, revient au même.

    La calvitie est « une régression folliculaire »  et c'est vrai que la calvitie est rarement totale, mais je trouve que le terme de régression est péjoratif. Je propose de remplacer cette périphrase par « disposition folliculaire choisie »  (pas par le chauve mais par les follicules)

    Et bien sûr tous le positif/négatif de l'handicap Ce sont en particulier les périphrases unanimement  appliquées de non-voyant pour aveugle et de mal entendant pour sourd. Ce qui sous-entend qu'il est honteux d'être aveugle ou sourd. Mais le positif/négatif attribue à l'handicapé la faculté manquante et ajoute sa suppression qui parait ainsi presque volontaire. Ce qui ne change évidemment rien à l'handicap et aux aménagements nécessaires pour le diminuer.

    Ce n'est qu'un modeste aperçu de l'hypocrisie de la société qui va parfois jusqu'à la bêtise (et je ne parle pas de la phraséologie imposée aux enseignants), de la valeur donnée au verbe pour usurper et masquer les faits, pour ménager la susceptibilité exacerbée de certains ou consoler ceux qui ont du mal à assumer ce qu'ils sont.


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  • En quoi le cholestérol peut-il être bon ou mauvais ?

     

    Le cholestérol qualifié de « mauvais » est celui transporté par les LDL, les lipoprotéines de basse densité, pourvoyeuses des cellules, et celles-ci acceptent ou non le cholestérol délivré à leurs portes selon leurs besoins et le nombre de portes qu'elles mettent à disposition. Le principal objectif des mesures de prévention vise à diminuer les transporteurs LDL et leur charge en cholestérol. Quant au « bon », il est transporté par les HDL, les lipoprotéines de haute densité qui suivent un trajet inverse de celui des LDL  et transportent le cholestérol des tissus périphériques vers le foie où il sera éliminé par la bile. Elles faciliteraient également la sortie du cholestérol des cellules macrophages qui, incapables de réguler son absorption, ont laissé entrer le cholestérol refusé par les autres. Les HDL ont un effet protecteur contre l'athérosclérose.

    Le cholestérol est « bon » ou « mauvais » selon la fonction et la direction du véhicule qu'il emprunte, vers la sortie ou vers l'entrée


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  • Francis Picabia "Viareggio"


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  •  

    VOIR LE MONDE

     

    Je suis impatient de bouger

    Voir le monde avant de mourir

    Voir les merveilles de la Terre

    Emplir ma tête de souvenirs

    Que j'emporterai au cimetière

     

    Peut-être irai-je voir

     

    Les monts coiffés de neiges

    De moins en moins éternelles

    Barrés de rangs de gratte-ciel

    Et de chapelets de télésièges

     

    Peut-être irai-je voir

     

    La plongée lente des soleils orange

    Dans des mers d'huile de vidange

    Entre les dents de béton des rivages

     

    Peut-être irai-je voir

     

    Le ciel d'acier plongeant dans les déserts

    Les mèches rouges des puits de forage

    Poussant sur les champs pétrolifères

    Je croiserai peut-être sur mon chemin

    Des hommes habillés de bombes

    Personne ne connait son destin

    Et l'heure de rejoindre sa tombe

     

    Peut-être irai-je voir

     

    Les arbres encore exubérants

    Les dernières bêtes magnifiques

    En fermant les yeux pour ne pas voir

    Le sourire des potentats ventripotents

    Gavés par leurs peuples affamés

    Et les grappes d'enfants faméliques

    Le gros ventre et les paupières mouchetées

    Qui mourront peut-être avant d'être hachés

     

    Peut-être irai-je voir

     

    Les places, les palais et les fontaines des villes

    Leurs tours et leurs bidonvilles

    Les files fumantes des autos

    Et les enseignes des Mac Do

    Des mafias qui changent de nom

    De la drogue aux coins des rues

    Des enlèvements contre rançon

    Des agressions pour quelques pièces

    L'import-export de femmes vendues

    Des jeunes qui en détresse

    Louent leurs petites fesses

    Ou vendent un rein en plus

     

    Pourquoi suis-je parti ?

     

    Parcourir les monts et les mers

    Les forêts et les déserts

    Les villes et leurs palais

    Le décor change mais les hommes jamais

     

    Paul Obraska


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  • Bernard Buffet "Je regarde le clown derrière le globe"


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  • GENERATIONS

     

    Le père tient un œuf éclos dans sa main

    Génération encore humide, étonnée d'être née

    La mère est soulagée d'avoir fini de le couver

    C'est l'âge où les parents pensent au lendemain

     

    Le petit frère déjà conscient des menaces

    Sur sa tête que lui réserve la vie

    A gardé son casque de carton bouilli

    C'est l'âge où l'on croit encore aux cuirasses

     

    Une bande d'enfants sort de l'école

    C'est l'âge des confrontations

    Pas de parents jusqu'à la maison

    On se pousse, on se tape et on rigole

     

    Un jeune homme sur son scooter

    Pense à sa nouvelle amie

    Il va démarrer ventre à terre

    C'est l'âge des conneries

     

    La génération qui regarde en arrière

    Ne figure pas sur la photo

    C'est l'âge de poussières

    Elle est sortie du tableau


    Paul Obraska


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