• 104. La crainte de penser

     

    Ce matin, j'ai discuté avec de jeunes médecins en fin d’études travaillant à l'hôpital. Ils m'ont semblé peu enthousiastes de la médecine qu'ils pratiquent selon l'enseignement qui leur est donné.

    Les données médicales, depuis pas mal de temps, sont cotés selon un barème plutôt complexe et aisément remplaçable par des appréciations comme « démontré », « probable », « incertain » mais le qualitatif fait moins sérieux que le quantitatif, même si le second est en réalité issu du premier.

    De plus en plus la tendance est d'aboutir à un diagnostic en cotant chacun des signes observés (encore faut-il avoir appris à les observer), par ex : fréquence cardiaque supérieure à 85/min = 1 point (quand on sait que le rythme cardiaque varie sans cesse et que l’émotion de l’examen risque de l’élever et qu’à 84/min vous n’avez plus ce point, on peut se demander quelle est la valeur d’un tel critère), et le diagnostic d'une maladie est porté si la somme des points atteint un total donné. Le risque de survenue d’une maladie est également coté. C'est introduire un modèle mathématique dans l'humain, et s'y soumettre aveuglément expose, à mon avis, à bien des déboires.

     

    L'omniprésence des algorithmes de décision où la conduite se déroule en fonction d'une réponse par oui ou par non, c'est à dire un déroulement binaire qui « élève » la pensée humaine au niveau de l'ordinateur. Nous ne sortons pas de cette ambition de la médecine qui veut quitter l'art, bannir l’intuition et éviter la personnalisation pour se hisser au niveau d'une science dure.

    Bien sûr, il y a les protocoles et il est heureux qu'il y en ait. Mais ces protocoles, outre le souci de mieux soigner, ont aussi le souci d'éviter un procès ultérieur.

     

    Le tout aboutit à une débauche d'examens complémentaires plus ou moins systématiques, notamment d'imagerie, la plupart onéreux, parfois inutiles mais non exempts de dangers pour certains, alors qu'une bonne utilisation de ses sens aidés d'appareils simples et la réflexion ou le simple bon sens pourraient éviter nombre d'entre eux.

     

    Mais il est de nos jours risqué de penser, surtout si on ne vous apprend plus à le faire. Alors on s'abandonne aux cotations, aux algorithmes et surtout aux machines qui disent forcement la vérité, pensent pour vous et nous ruinent, mais font tellement plus sérieux dans un éventuel procès, où l’on risque, en outre, de vous reprocher de ne pas avoir utilisé toute la panoplie à votre disposition.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 17:53
    Il fut un temps où la médecine était un art. C'est devenu de plus en plus une technique. Mais un être vivant ne peut se comparer à une automobile dont on détecte la panne grâce à des capteurs branchés sur un ordinateur.
    2
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:21
    Un article qui tombe à point dans les problèmes que je traverse avec les séquelles de mon accident du mois d'août. Chirurgiens, spécialistes, ne diagnostiquent pas la même chose concernant des douleurs récurrentes et se réfèrent à des examens et soins coûteux qui ne révèlent rien de probant. Le prochain qui est prévu est un scanner d'ici 2 mois après ma scintigraphie du 21/12/2011. Bonne soirée Doc
    3
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:35

    La technique a apporté des choses extraordinaires (j'ai eu la chance d'être le témoin de tous ces progrès) mais elle doit être appliquée à bon escient, sinon nous ferons une médecine impersonnelle et ruineuse.

    4
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:37

    Vous allez avoir droit à toute la panoplie. A quand l'IRM ?

    5
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:46
    Je n'en sais rien Doc... c'est en effet envisageable compte tenu de la situation, ce qui ne me réjouit pas du tout. C'est une situation très inconfortable de se trouver devant des toubibs qui n'arrivent pas à accorder leur violons. ZAZA
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    6
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:49

    L'un d'entre eux a sans  doute raison, mais lequel ??

    7
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:56
    That is the question Doc, et c'est pour cette raison que je rencontre lundi prochain un autre chirurgien orthopédiste. ZAZA
    8
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:57
    C'est une des raisons qui m'incitent (sauf en cas d'absolue nécessité) à éviter le corps médical dans la pratique de son "art" ! Trop stressant, anxiogène et mécanique...sauf ma copine !
    9
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 18:59

    Espérons qu'il n'aura pas encore un avis différent des autres.

    10
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 19:03

    Il vaut mieux fréquenter les corps en dehors des corps constitués

    11
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 19:07
    Sans en revenir au médecin qui posait son oreille sur la poitrine et le dos de son patient après y avoir posé un linge, je ne trouve pas la médecine-robot, très évidente, surtout au point de vue rapports médecin patient ! Un bon praticien doit avoir en plus de son savoir de l'instinct et le don de l'observation, ce qui ne sera jamais le cas d'instruments si perfectionnés fussent-il ! Un cabinet médical ne sera plus rien pour peu qu'on l'oblige à ressembler au tableau de bord d'une navette spatiale !
    Contente de vous retrouver DR WO
    Nettoue
    12
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 19:32

    Le cabinet médical, je ne pense pas. Mais le médecin vous enverra là où il y a un tableau de bord.

     

    13
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 22:42
    Tout cela peut paraitre bien "technique" et "déresponsabilisant" pour le médecin, Doc. Mais l'inconvénient pour le malade dans la situation d'AVANT c'était qu'il fallait avoir la chance de tomber sur un bon médecin expérimenté et intuitif. Et ils n'étaient PAS tous comme ça.

    Je vous avoue que je suis un peu rassuré quand l'intuition du médecin est confirmée par les diagnostics assistés par ordinateur.
    14
    Mercredi 18 Janvier 2012 à 23:07

    Vous n'avez pas tort. Je suis un admirateur des progrès techniques. La question est la façon de les utiliser en conservant reflexion et bon sens. Un exemple qui m'a été rapporté ce matin : le dosage de la troponine permet de confirmer un infarctus du myocarde mais son taux ne s'élève pas uniquement dans ce cas. Les urgentistes imposent l'hospitalisation en cardiologie en cas d'élévation de son taux même si le tableau clinique n'évoque aucunement l'infarctus. L'absence de réflexion aboutit à ce constat : un signe biologique = une maladie et cette simplification excessive va retarder le diagnostic réel. On peut appeler ça la "troponite aiguë".

    15
    Jeudi 19 Janvier 2012 à 11:58
    Votre article est très intéressant, mais le constat que vous faites est fort inquiétant quant à l'usage de la technique par le corps médical. Mais peut-on vraiment apprendre ce dont vous rêvez : le bon sens ? N'y a-t-il plus de Maîtres à penser qui par l'exemple et l'attention éveillent chez l'apprenti médecin les bons réflexes et la réflexion ? Et puis il y a ce qui nous vient des Etats Unis, cette peur du procès pour un oui et pour un non avec les excès que vous décrivez.
    16
    Jeudi 19 Janvier 2012 à 18:26

    L'article suivant répond un peu sur la place des techniques en médecine dont les performances finissent par être un obstacle à la réflexion, même pour les "maîtres". Oui, nous suivons les traces ds USA.

    17
    Jeudi 19 Janvier 2012 à 18:35
    Notre fonctionnement biologique n'est pas forcément algorythmique. Les chiffres, c'est bien, l'expérience c'est mieux. Il y a danger à faire croire que les chiffres sont plus sérieux que l'étude approfondie des personnes venues consulter (et non des "cas"), vous avez totalement raison et j'ai peur pour l'avenir de la médecine.

    Béa
    18
    Jeudi 19 Janvier 2012 à 18:46

    C'est la quantification du qualitatif, ce qui est évidemment une source d'erreurs. Le qualitatif se conçoit globalement.

     

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