• 10. Petites histoires sur les honoraires

    « L'altruisme humain qui n'est pas égoïste est stérile » (Paul Valéry). Si quelques-uns agissent surtout par intérêt, on trouve chez les médecins beaucoup de gens désintéressés, mais soigner les autres ne doit pas être considéré comme un dû.

    Certains patients sont impressionnés par le montant des honoraires. C'est un piège. La qualité d'un praticien n'est aucunement proportionnelle aux honoraires exigés.  D'autres sont capables aujourd'hui de rendre le même service sans gonfler les leurs. Le dépassement d'honoraires nécessite la complicité du patient qui oublie qu'aucun médecin, aucun chirurgien, ne possède de remède miracle ou un savoir-faire que d'autres ne possèdent pas.

     

    Dans le passé certains praticiens ont eu tendance à fertiliser largement leur altruisme.

    Pendant des siècles, il était convenu que les médecins devaient soigner les pauvres gratuitement et faire payer les riches bourgeois, car pour les aristocrates il fallait espérer leur générosité. Si celle des souverains était souvent grande, « Madame de Coislin soutenait qu'autrefois une personne comme il faut ne se serait jamais avisée de payer son médecin » (Chateaubriand)[1].

     

    Les honoraires fabuleux que demandaient certains médecins de l'Antiquité sont parfois le principal motif de leur passage à la postérité, tel Asclépiade de Bithynie, le premier des grands médecins grecs venus s'installer à Rome au premier siècle avant notre ère.

    Un médecin de l'école de médecine de Salerne au XIIe siècle conseille à ses étudiants une méthode peu orthodoxe pour récupérer des honoraires impayés : « Fais-lui prendre de l'alun à la place de sel dans sa nourriture, ce qui ne manquerait pas de le couvrir d'éruptions »[2]

    Au XIVe siècle, John of Arderne, le père de la chirurgie anglaise, imagina de demander une certaine somme cash puis la même chaque année de survie du patient. L'inverse d'une rente viagère.

    Ferdinand Sauerbruch, pionnier de la chirurgie thoracique, inventa au début du XXe siècle une chambre pneumatique permettant d'ouvrir un thorax et d'opérer un poumon sans tuer le patient. Chirurgien le plus célèbre d'Europe, ses honoraires étaient pharamineux. A un parent qui lui demandait un rabais, il aurait répondu : « au-dessous de cette somme mes mains tremblent »

     

    Des cuillers à tirer les bébés et l'argent.

    On pouvait faire fortune en inventant un instrument dont on conservait le secret, ses avantages assurant la clientèle. Ce fût le cas pour les forceps, cuillers à extraire les  bébés inventées par William Chamberlain ou son fils aîné Peter, huguenots émigrés de France en Angleterre en 1569. Pendant un siècle leurs descendants formèrent une dynastie d'accoucheurs qui délivrèrent, entre autres, les reines d'Angleterre, en gardant le secret de l'instrument par cupidité. Pour ce faire, ils isolaient la parturiente derrière des rideaux et oeuvraient seuls pour que la sage-femme ne voit pas l'instrument et éviter qu'on ne  vole leurs cuillers. Evidemment le secret finit par être éventé avant qu'on ne retrouve le forceps des Chamberlain, un temps perdu, dans sa boîte, et dans la maison de famille au début du XIXe siècle. Entre temps le forceps avait été également inventé par le Flamand Johannes Palfyn et par le Français André Levret.

     

    Il n'y a pas que l'argent qui compte.

    Alphonse Baudin  « Médecin des pauvres », député à l'Assemblée législative de la Deuxième République, s'écria sur une barricade le 12 décembre 1851 :  «  Vous allez voir , citoyens, comment on meurt pour 25 francs par jour » et fut tué.


    L ‘Allemand Röntgen découvrit les rayons X. et en fût récompensé par le premier prix Nobel de physique en 1901. Il offrit le montant du prix à son université, refusa l'utilisation de son nom et ne déposa aucun brevet, laissant sa découverte à la disposition de tous, exemple peu suivi de son temps et pas du tout du nôtre. Il répondit  à la firme AEG très intéressée par sa découverte : « Dans la bonne tradition des professeurs d'université allemands, je suis d'avis que les découvertes et inventions appartiennent à l'Humanité. Leur diffusion ne doit en aucun cas être entravée par des brevets, des licences ou des contrats et aucun groupe de personnes ne doit en avoir le monopole ». Dommage qu'il ne fût pas médecin

                                                                                                                                                               

    L'argent des autres

    Nombre de médecins gagnent leur vie en assurant la fortune des autres, chevilles ouvrières des chaînes de cliniques, à la merci du bon vouloir des financiers et des actionnaires.

    Les moyens de la recherche ne sont plus dans les moyens des chercheurs. Ils cherchent donc pour le compte de ceux qui payent et ce qu'ils trouvent n'est plus d'emblée  du domaine public pour l'intérêt de tous.

     

    Le patrimoine génétique humain est lui-même voué à la commercialisation. Les généticiens scrutent le génome et y  trouve la source de la plupart de nos maladies. Un déterminisme qui rend le médecin dubitatif sur son rôle et l'efficacité de son action. Les chercheurs et ceux qui les financent considèrent que la mise en évidence d'une séquence de l'ADN (Acide DésoxyriboNucléique)[3] est une invention. Des milliers de brevets ont été déposés, ils doubleraient chaque année, les inventeurs de la nature n'ont pas à s'inquiéter : l'ADN comporte trois milliards de nucléotides[4].  On parle également de droits d'auteur, il est vrai que l'on compare le code génétique à une bibliothèque. Rien n'arrête les investisseurs pour réclamer une redevance ou une exclusivité pour tout ce qui concerne le petit bout de notre patrimoine génétique dévoilé : procédés pour isoler les gènes dont les mutations peuvent entraîner des maladies, tests de dépistage et traitements correspondants.



    Documentation réunie avec la collaboration de Jean Waligora

    [1] Mémoires d'outre-tombe

    [2] Cité par Kenneth Walker, Histoire de la médecine

    [3] Grosse molécule en double hélice support de l'hérédité dont l'agencement des éléments  est spécifique de chaque individu

    [4] Unités de la molécule d'ADN composées d'un sucre, d'un phosphate et d'une base

                                                                   
     
     

     

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