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Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, a donné une conférence sur « le viol comme arme de guerre », lors de la séance du 11 janvier 2022 de l’Académie nationale de médecine dont il est membre honoris causa. La guerre en Ukraine nous montre que le viol est utilisé comme arme aussi bien sur le sol européen que sur le sol africain ou ailleurs, et que la barbarie n’a pas de limites géographiques, on peut le constater à chaque guerre quel que soit le niveau culturel atteint par les pays en conflit. Comme j’admire l’action et le courage du Dr Mukwege, je rapporte ci-dessous l’article que lui consacre, dans la Revue du Praticien de mai 2022, J-N Fiessinger, membre de l’Académie nationale de médecine.
"Né en 1955 à Bukavu (Congo oriental), le Dr Mukwege fait ses études de médecine à Bujumbura (Burundi), sous l’impulsion de sa mère. Nommé médecin à l’hôpital de Lemera à une soixantaine de kilomètres de Bukavu, il est bouleversé par les conditions sanitaires dans lesquelles les femmes accouchent. En 1984, libéré de son engagement à Lemera, il décide de se spécialiser en gynécologie-obstétrique. Il vit alors durant 5 ans à Angers avec sa famille « une période heureuse et extrêmement satisfaisante ». Il choisit ensuite de revenir au Congo, à l’hôpital de Limera, où il devient le premier gynécologue-obstétricien de la région. En 1996, les rebelles Tutsi envahissent l’hôpital et assassinent plus de trente patientes. Le Dr Mukwege et sa famille sont exfiltrés au Kenya où ils restent une année. De retour au Congo, en 1999, pendant la deuxième guerre du pays, il ouvre une maternité à Panzi, proche de Bukavu. Rapidement, le Dr Mukwege est confronté au drame des femmes violées et mutilées par les milices rebelles. Dès lors, sa prise de conscience de l’utilisation des sévices sexuels comme arme de guerre le conduit à faire de l’hôpital de Panzi un refuge pour les femmes victimes de violences sexuelles. Outre les possibilités de chirurgie réparatrice, elles y bénéficient d’une prise en charge psychologique et de conseils juridiques.
C’est au contact de ses patientes et de leur résilience face aux inadmissibles mutilations subies que le Dr Mukwege a choisi le combat de la défense des femmes à travers le monde, bien au-delà du drame du Congo oriental.
Fin 2012, après une nouvelle tentative d’assassinat à son encontre et à celui de sa famille, il s’exile à Boston (États-Unis).
Trois mois plus tard, il choisit de revenir à Panzi. Il vit désormais avec Madeleine, son épouse, et leurs filles au sein de l’hôpital dans une petite maison de l’époque coloniale sous la garde constante de casques bleus de l’ONU.
Prix Nobel de la paix en 2018, conjointement avec Nadia Muard, figure de la persécution des Yézidies par les combattants de Daech, le Dr Mukwege continue de parcourir le monde pour défendre la cause des femmes dans toutes les sociétés, se rendant en particulier dans les pays théâtres de viols de guerre. Il dit rêver « d’une société où les mères sont reconnues comme les héroïnes qu’elles sont, où les filles sont autant considérées que les garçons, où les femmes grandissent sans craindre les violences ». À partir de la prise en charge holistique qu’il a développée en réparant les femmes victimes de sévices, le Dr Denis Mukwege a créé un diplôme de chirurgie pelvi-périnéale labellisé par l’université d’Angers, à l’université évangélique de Panzi.
Durant son intervention, le 11 janvier 2022, c’est un appel vibrant que le Dr Mukwege a lancé pour que la communauté internationale se mobilise en faveur des femmes victimes de viol et pour que les grandes puissances interviennent dans le drame du Congo oriental, où les milices violent et mutilent des femmes, pour exploiter en toute impunité les richesses en minerais de la région (lithium, cobalt, coltan indispensables à l’industrie électronique)."Denis Mukwege, La Force des femmes. Traduction de l’anglais par M. Chuvin et L. Devaux, Paris, Gallimard, 2021.
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